Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

mardi 15 octobre 2013

"Dans la penderie, l'enfant du placard se sent beaucoup mieux". Jacques Damboise in "Pensées inconvénientes".

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Pensées pour nous-mêmes:

(SOURIS A LA VIE COMME A LA MORT)

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(Le Maître de la Croissance
hypnotisant les dirigeants des pays du Monde)




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(Prisonnier en zone rouge démontrant que les geôles russes
sont tellement attractives...)



Témoignage depuis un nouveau Goulag

ANTON ELINE

   (...) Avec le combat de l'une des Pussy Riot incarcérée en Russie, les conditions de détention sont revenues sur le devant de la scène. Un journaliste a recueilli le témoignage d'un détenu d'un système carcéral hérité du goulag.

   Nadejda Tolokonnikova doit encore purger 155 jours de peine. Et il est probable que ces 155 jours coûteront cher à la direction du système carcéral. La lettre de la jeune femme aux doigts piqués par les aiguilles des machines à coudre et qui barbouille la table de son sang en cousant 150 uniformes de police par jour a ravivé les plaies d'un système carcéral encore proche du goulag stalinien à bien des égards. (...)

   (...) Moi aussi, j'ai écarquillé les yeux, et puis j'ai imprimé la lettre et je suis parti voir un ami récemment sorti de la colonie pénitentiaire IK-3, dans la ville de Safonovo, région de Smolensk. Tolokonnikova est incarcérée en zone "rouge" (régime administratif), tandis que mon ami D. M. a passé quatre ans dans une "colonie noire", où la direction délègue une partie de ses pouvoirs aux "voleurs dans la loi" [les "caïds" du camp]. Et il est intéressant de comparer ces deux pôles diamétralement opposés du monde de la réclusion. Nous avons ouvert une bouteille de whisky et discuté quatre heures durant. J'ai découpé notre conversation en quatre monologues...

   Le "rouge" et le "noir"

   Tolokonnikova est internée en zone "ultrarouge", que l’on peut comparer à une caserne militaire. Les règles les plus idiotes sont parfois observées et les normes de rendement constituent des principes absolus. Pour comprendre la différence entre les zones "rouge" et "noire", je vous donne le cas d'un zek [terme populaire pour qualifier les prisonniers, remontant à l'époque soviétique du goulag] en zone noire qui s'était fait prendre la main dans une presse à vis de 120 tonnes, à l'usine de la colonie. Ses os avaient été comprimés mais pas brisés, car on avait réussi à arrêter la machine à temps. La particularité d'une presse est qu'elle ne peut pas être remontée tant qu'elle n'a pas atteint sa base, jusqu'à la table.

   Que faire ? Si on remettait la machine en route, le gars perdait sa main. Si on la démontait et puis la remontait, les objectifs de production ne pourraient pas être rattrapés avant longtemps. Les types de l'administration hurlaient : "Remettez la presse en marche, on se fiche de sa main, les médecins lui en coudront une nouvelle." Les zeks ont refusé et n'ont laissé personne s'approcher du commutateur de la machine.

   Les caïds sont intervenus et ont négocié avec la direction pour que la presse soit démontée et que la production soit compensée par la "caisse commune" [des caïds]. Et c'est ainsi que cela s'est passé. On a finalement sauvé la main du zek. En zone "rouge", l'administration ou les prisonniers eux-mêmes auraient remis la machine en route. C'est ce qui explique que Tolokonnikova ait les mains piquées par des aiguilles et que la table des "couturières" soit maculée de sang. Et c'est précisément pour cela que la responsabilité collective est si répandue dans les camps de Mordovie [région où est incarcérée Tolokonnikova]. C'est plus commode.

   Le travail

   Quand on m'a transféré dans le camp IK-3 (en 2008), 700 personnes sur 1 200 travaillaient à l'usine. Vingt personnes de chaque équipe fabriquaient de la bière dans la cave du baraquement. Les autres flânaient dans la zone d'habitation ou jouaient aux cartes, ce qui est interdit. Cette zone était alors presque "verte" (l'administration n'y apparaissait pas, ou juste le soir pour prendre deux jerricans d'eau de vie : vingt litres étaient attribués au surveillant du baraquement et nous conservions les vingt autres litres). Quand j'en suis parti n'y travaillaient plus que 200 personnes. On n'y distillait déjà plus d'eau de vie (l'héroïne avait remplacé l'alcool), les 1 000 autres ne savaient pas comment s'occuper. Il n'y avait pas du tout de travail. 

   Pour ne pas crever d'ennui, j'ai mis en place un petit atelier de sculpture sur bois. J'ai trouvé un peintre et un sculpteur, fait venir du matériel de l'extérieur. Nous devions faire quatre coffrets et un jeu de jacquet par semaine, à nous trois. Nous les fabriquions en deux jours et les cinq autres jours, nous travaillions pour des cigarettes, du thé – la monnaie locale. Finalement, pour ne pas retourner au baraquement, nous avons demandé l'autorisation de travailler de jour comme de nuit. Dans l'atelier, on était trois, tandis que, dans le baraquement, on était mille, ce qui fait une différence. Mais notre motivation pour les heures supplémentaires était diamétralement opposée à celle de Tolokonnikova [qui subit des heures supplémentaires imposées]. Dans son cas, cela relève de l'arbitraire total, même vu depuis la zone "noire". 

   La violence

   Il existe des zones plus dures que les "rouges" de Mordovie, comme celles, célèbres, de Saratov et de Kirov, où dix-huit voyous ravalés au rang d'"intouchables" se sont pendus dans le baraquement de quarantaine. Dans les zones "noires'', il est interdit d'en venir aux mains. Cette interdiction n'est, du reste, pas imposée par l'administration, elle vient des "caïds". Pour casser la gueule de quelqu'un, tu dois poser la question en haut lieu, le notifier au surveillant du baraquement. Il faut avoir une sérieuse raison. Si tu n'as pas respecté ces règles et que tu as cogné quelqu'un, tu devras verser de l'argent ou alors, toi aussi, tu te feras casser la gueule, et pas à coups de poing.

   Bien que dans les zones "rouges", la même interdiction soit en vigueur (l'administration dirige via des "collabos'' ou des zeks proches de la direction), dans les zones "rouges" pour femmes, la situation est plus complexe. Les colonies de femmes sont, par nature, plus pénibles. Si les hommes commencent à se battre pour le pouvoir, les femmes, elles, deviennent des hommes. Et leur personnalité se dégrade. Une de mes amies qui travaille dans un centre de détention pour femmes m'a raconté qu'elle risque fréquemment de se recevoir de l'eau bouillante en plein visage, lors de la distribution de la nourriture. Cela n'arrive pas dans les zones des hommes.

   On m'a tabassé, mais pas plus que lorsque j'étais en liberté. Si le chef de Tolokonnikova est "stalinien", le mien ne l'était pas. Alexandre Mikhaïlovitch Lartchenko était un soudard avec un humour de soudard. Il avait sur lui un gros poste de radio Motorola et, si tu lui cherchais querelle ou le dévisageais, il pouvait sans façon te lancer ce poste à la figure. Tout simplement parce que cela lui était plus facile de communiquer ainsi (on dit que 20 % de sa tête est en titane : il s'est fait esquinter la boîte crânienne un jour sur une ligne de montage). C'est comme ça que nous avons fait connaissance. J'ai reçu le poste de radio sur l'oreille et j'ai entendu : "Voilà un brave gars !" En quoi je suis un brave gars, je ne le sais toujours pas. 

   Plaintes

   Il est nécessaire de se plaindre. Particulièrement dans les zones "rouges", où il n'y a pas de levier pour faire pression sur l'administration et où il est impossible de passer des accords. Tolokonnikova a raison d'agir ainsi. Du reste, elle ne demande rien d'extraordinaire, juste le respect du Code de procédure pénal. Le fait que Tolokonnikova n'ait pas le droit de s'allonger dans sa cellule et a fortiori d'aller aux toilettes signifie qu'elle n'est pas maintenue dans cette cellule pour "raison de sécurité", comme l'affirme le représentant du Service pénitentiaire fédéral. Un "lieu sûr", c'est une cellule comme celle du quartier disciplinaire, dans le même bâtiment, mais dans laquelle le lit n'est pas attaché au mur et sur lequel on peut s'allonger. Après avoir écrit cette lettre ouverte, elle a vraiment été punie.

   J'ai écouté mon ami parler et une question m'a taraudé : le chef du Service pénitentiaire fédéral de Russie, Guennadi Kornienko, restera-t-il à son poste jusqu'à la fin de la peine de Tolokonnikova ? Son prédécesseur, Alexandre Reïmer, avait été nommé par Dmitri Medvedev pour faire une grande réforme du système carcéral. Il a souvent visité les colonies, où l'on avait vite appris à noyer dans des seaux les chiots et chatons errant du camp et à confisquer les livres des zeks, une heure avant son arrivée. Après une mutinerie à la colonie pénitentiaire n° 1, la réforme en est restée là [Reïmer a été démis de ses fonctions pour corruption]. Les observateurs disent que Kornienko a pour mission de ramener la paix dans le monde carcéral. C'est loin d'être gagné pour l'instant. (...)


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Benoît Barvin

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