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Pensées pour nous-mêmes:
(PENSER PEU POUR NE PAS PENSER
DU TOUT, NON MERCI)
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"M'Man? On est encore loin de Fukushima?
- Non, on arrive, mon chéri...
- Chic! On va bien s'amuser avec les cousins irradiés"
COMMONITION
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"Ainsi, vous vouliez que je le tuasse,
n'est-ce pas?
- C'qu'y dit?"
Jean-Leon Gérome
Faut-il parler « peuple » ?
Roger Martelli
(...) Dans la France d’Ancien régime, quand le peuple s’assemblait pour dire ses demandes ou exprimer sa colère, on ne parlait pas de manifestation ni même de révolte, mais d’ « émotion », ce qui voulait dire « mise en mouvement ». On a gardé l’émeute, on a perdu l’émotion. Dommage : pour que le peuple se mette en mouvement, il faut que quelque chose le pousse à le faire, il faut qu’il soit « ému ». Or pour qu’il soit ému, il faut que quelque chose lui parle. La politique institutionnelle ne sait plus parler aux catégories populaires. Parce qu’elle a renoncé au primat de la politique au profit de celui de l’économie ; parce qu’elle s’est ralliée à l’idée que le propre de la responsabilité politique n’était plus le bien public et le gouvernement, mais la compétitivité et la gouvernance, c’est-à-dire le pouvoir des experts et autres présumés compétents.
On ne parle plus au peuple : on communique. Quand le peuple n’entend pas, c’est que l’on communique mal ; on ne change plus de politique, mais de communicants. Cette méthode est démocratiquement calamiteuse : ceux qui veulent la briser ont raison. À condition de maîtriser le désir de subversion ; à condition de ne pas produire le contraire même de ce que l’on veut obtenir.
Pour parler au peuple, faut-il « parler peuple » ? Toute langue, on le sait, est faite de la multitude de ses variétés, de ses registres et de ses usages. Elle ne vit et ne se transforme que par le heurt permanent de ses normes et de ses écarts à la norme. À partir du XVIe siècle, l’État centralisé français a fait du contrôle de la langue une dimension importante du contrôle de la société : l’imposition administrative et la codification du français ont été une manière de dire la supériorité absolue de la monarchie et de ses agents. La maîtrise de la langue, au-delà des cercles instruits du clergé, est devenue une clé du pouvoir. Le passage révolutionnaire de l’absolutisme à la démocratie représentative a renforcé le trait : pour délibérer et décider ensemble, il faut une langue commune. Mais du commun régulé à la norme imposée, la frontière est aisée à franchir.(...)
(...) Pour contenir le peuple à qui l’on donnait juridiquement le droit à la parole (le suffrage universel), on se mit à penser qu’il convenait de tenir en lisière les usages populaires de la langue. Ce fut l’apprentissage généralisé de la langue nationale, dans le cadre de l’instruction publique. Or cet apprentissage eut d’emblée une double caractéristique parfaitement contradictoire : d’un côté, la pratique élargie de toutes les dimensions de l’usage linguistique, y compris abstraites et savantes ; d’un autre côté, la volonté d’éradication des pratiques populaires de la langue, à commencer par les « patois ». Ce fut la base de l’égalité des chances : les catégories populaires pouvaient espérer bénéficier de l’ascenseur social dès l’instant où elles renonçaient aux usages qui, dans l’ancienne France, étaient le substrat des communautés populaires et de « l’émotion ».
Ainsi s’est installée une contradiction, pour tous ceux qui considéraient que le parti pris de la démocratie supposait que le pouvoir véritable revienne, non pas au peuple juridique, mais au peuple réel. Pour obtenir cette restitution, faut-il cultiver la spécificité populaire, au risque de cultiver sa parcellisation et donc sa marginalisation sociale ? Ou faut-il au contraire, pour donner au peuple son unité, promouvoir l’accès populaire à la culture des dominants, au risque de faire perdre au peuple concret sa spécificité et, partant, d’éroder son pouvoir de subversion ?
Les deux tentations se sont combinées ou se sont opposées ; elles ont coexisté ou se sont succédé. L’originalité des parlers populaires (les particularités régionales, l’argot) a été l’objet de collection et de conservation, par passéisme ou par respect de la richesse populaire. Dans l’espace politique, par ailleurs, les tentatives n’ont pas manqué pour faire en sorte que la langue populaire transcrite s’exprime en tant que telle. Sous la Révolution, le sans-culotte radical Jean-René Hébert publie Le Père Duchesne, popularisant son vocabulaire imagé et volontairement trivial. Plus tard, à la fin du XIXe siècle, l’anarchiste et syndicaliste révolutionnaire Émile Pouget édite le truculent et combatif Almanach du Père Peinard.
Entre les deux guerres mondiales, à l’initiative d’Henri Poulaille, la « littérature prolétarienne » veut imposer la dignité d’une écriture fondée à la fois sur l’origine modeste de ses producteurs et sur un « refus de parvenir » qui contredit l’intégration dans les normes d’une société de classes.
Au XXe siècle, le communisme français installe une autre conception de l’affirmation populaire. Ainsi, le PCF a récusé longtemps la valeur de la littérature prolétarienne. Sans doute l’a-t-il fait avec d’autant plus de vigueur que cette littérature fleurait l’anarchisme et que certains de ses tenants manifestèrent de la sympathie pour les persécutés de la Russie stalinienne. Mais les motifs du refus étaient plus profonds. De même qu’il fallait retourner contre la bourgeoisie les armes de l’État qu’elle utilisait contre les ouvriers, il fallait que les ouvriers retournent les acquis de la culture bourgeoise contre ceux qui en maîtrisaient les arcanes.
L’objectif du révolutionnaire ne devait pas être de constituer l’action prolétarienne en culture séparée, mais de conforter la mission universelle des prolétaires en leur donnant la maîtrise des savoirs et des outils culturels jusqu’alors monopolisés par la classe dominante.
Cette vision cohérente imprégna toute la pratique des communistes français pendant quelques décennies. Elle se traduisit dans des politiques culturelles, nationales et locales, qui visaient à permettre à l’ensemble des catégories populaires d’accéder au « patrimoine », français et universel. Elle se marqua aussi dans la symbolique extérieure. Quand des députés communistes entrèrent au Parlement, ils adoptèrent significativement la tenue classique du parlementaire, chapeau et costume trois-pièces, signes d’une respectabilité et d’une distance censées jusqu’alors écarter les humbles de la représentation nationale. L’élu communiste restait, dans sa vie quotidienne, proche de celles et ceux qu’il représentait ; mais dès l’instant où il « représentait », il cessait d’être le mandataire d’un groupe particulier, mais celui d’un territoire, jusqu’à celui la nation.(...)
Pour une part, nous sommes arrivés au bout d’une histoire. Parce que l’État administratif a reculé dans ses missions de redistribution et d’expression d’un certain « intérêt général ». Parce que les logiques visant à confier à l’État les tâches d’émancipation ont montré partout leurs limites, et pas seulement dans les territoires du modèle soviétique. Parce que les méthodes de l’inversion du pouvoir (le pouvoir change de main) n’ont nulle part débouché sur la subversion du pouvoir : à la limite, pour paraphraser Lénine, la cuisinière peut gérer l’État, mais elle cesse alors d’être une cuisinière. En se glissant dans des normes construites en dehors de l’espace populaire, les « représentants » du peuple ont coupé avec la marginalité entretenue, ils ont gagné en respectabilité. Au bout du compte, ils ont perdu en force subversive. Dans les représentations, ils ont perdu en étrangeté, mais perdu aussi en originalité : quand le monde politique dans son entier est perçu comme séparé de la société, à quoi bon être « comme les autres » ? (...)
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"C'est à cette heure que t'arrives?
- T'es c...! Tu m'as fait une de ses peurs..."
PAVID
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Benoît Barvin
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