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Pensées pour nous-mêmes:
(LA SIMPLICITÉ EST LE DÉBUT
DE LA SAGESSE)
DE LA SAGESSE)
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LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/47)
pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste
Soeur Camille vient d'apprendre que son frère Angélus n'était pas mort, ainsi qu'elle s'en doutait. Le jeune homme lui narre rapidement ses aventures en Amérique...
ANGÉLUS
ou
LES SECRETS DE L’IMPALPABLE
Fuseli Satan Starting 1779
CHAPITRE 18
La cellule de la Mère Supérieure était située tout au bout de la galerie, du côté de celles des autres moniales. C’était là également qu’avait été construite la chapelle. On y accédait directement, alors que pour aller chez la Mère Supérieure il fallait monter une volée de marches, car la pièce avait été prise sur le grenier, afin de séparer la cellule de Camille de l’Incarnation de celles des autres soeurs.
Depuis plusieurs nuits, Elaine surveillait les alentours. Elle s’était donné pour tâche d’exécuter un tour de garde toutes les deux ou trois heures afin de noter tout fait curieux. Son sommeil étant très léger, elle s’éveillait pour un rien : le bruit du vent dans les arbres ; le cri d’une orfraie ou les craquements du bois de la charpente sous le travail des capricornes. Au bout de près d’une semaine, la jeune femme arborait une mine de papier mâché.
Ce soir-là, c’est tout à fait par hasard, alors qu’elle s’apprêtait à se coucher que, vers les minuits, elle remarqua une silhouette qui se glissait dans la galerie, après s’être faufilée rapidement dans le jardin.
Le coeur battant, la jeune femme se dissimula derrière une colonne. Le croissant de lune ne lui permettait pas de distinguer les traits de l’inconnu mais la silhouette était indubitablement celle d’un homme. S’agissait-il du Père Grangeais ?
Cependant, aux pieds des marches conduisant vers la cellule de la Mère Supérieure, l’intrus s’immobilisa et, dans un geste vif, se retourna en balayant du regard l’espace autour de lui. Dans ce mouvement, le capuchon qui cachait ses traits glissa, et Elaine reconnut Angélus Gabrielli.
Bien que ce fût là la confirmation de ce qu’elle avait ardemment souhaité, la jeune femme sursauta et une onde glacée parcourut ses reins. L’apothicaire resta un moment immobile, scrutant les alentours comme s’il soupçonnait une quelconque présence, puis il se détourna vivement et monta silencieusement et quatre à quatre les marches conduisant à la cellule de la supérieure du couvent.
Elaine attendit quelques minutes, l’esprit brouillé puis elle suivit Angélus. Elle se coula dans le renfoncement du mur, atteignit enfin la porte qui défendait la cellule et s’immobilisa, dos au mur, la respiration coupée. Elle savait que ce qu’elle faisait était mal. Elle craignait tellement l’apothicaire qu’elle se demandait s’il ne lui avait pas dressé un piège, sachant qu’elle était quelque part, à le surveiller.
Elaine se sentait peu à son aise face à cet homme. Une étrange attirance la poussait vers lui, attirance inexplicable et impie. Ne le soupçonnait-elle pas d’être responsable, au moins indirectement, de la mort abominable de son cher Adrien ?
La jeune femme savait aussi qu’elle n’avait pas à surveiller les intrigues de la Mère Supérieure. Ses parents lui avaient toujours dit que la curiosité était un péché et, comme tel, qu’il méritait une punition. Pour échapper à ces remords, elle murmura :
- Il ne m’est pourtant pas possible de laisser la Supérieure et l’apothicaire se rencontrer nuitamment... Camille de l’Incarnation ne doit-elle pas donner l’exemple d’une vie juste, tout entière consacrée à glorifier Notre Seigneur ? Elle me semble en proie à des passions coupables qui méritent une sanction impitoyable, si elles sont avérées réelles... Quant à Angélus Gabrielli, je ne sais pas ce qu’il attend de la Supérieure... Hélas, je dois avouer qu’un rien de jalousie me mordille le cœur à la simple pensée qu’il va visiter Sœur Camille de l’Incarnation...»
La jeune femme hésita encore un peu, les pensées de plus en plus confuses. Pour finir, elle colla son oreille contre la porte, dans l’espoir d’entendre les propos échangés dans la pièce.
A sa grande surprise, l’huis se déroba légèrement sous sa poussée. La porte n’était pas fermée ! L’angoisse lui mordant le ventre, Elaine poussa un peu plus le battant, avant de glisser un œil dans la cellule.
Un chandelier posé sur une table éclairait la scène, ce qui lui permit de distinguer la Mère Supérieure, debout devant la silhouette d’Angélus Gabrielli. Elle était à moitié dévêtue et l’apothicaire lui passait délicatement la paume de la main sur le haut de la poitrine.
***
La jeune femme, les larmes aux yeux, s’adossa au mur. Elle ne savait plus que penser. L’apothicaire et la Mère Supérieure étaient-ils amants? Cette idée choquante, révulsante même, la mit dans tous ses états. N’était-elle pas folle d’avoir ainsi de pareilles pensées extravagantes ? Et, cependant, le spectacle auquel elle assistait était pour le moins équivoque... Elaine s’essuya les yeux brouillés par les larmes, hésita un peu avant de reprendre son observation, le coeur lourd.
A présent, la Supérieure avait ôté sa robe mais l’apothicaire faisait souvent écran devant elle, de sorte qu’Elaine n’entrevoyait que des parties du corps déshabillé.
Le visage impénétrable, les yeux perdus dans le vague, solidement campée sur ses jambes, ses mains en conque cachant son sexe, la religieuse murmurait lentement mais distinctement un «Salve Regina» d’une voix un peu tremblante. Angélus Gabrielli continuait pendant ce temps-là à la masser, enduisant son corps d’une fine pellicule d’onguent qui luisait à la lueur des bougies. La lumière tremblotante jouait perversement avec les formes de la religieuse, accentuant ses rondeurs et la rendant plus jeune encore, semblait-il.
Angélus se mit à genoux et enduisit soigneusement les jambes puis les pieds de sa patiente. La Mère Supérieure se laissait faire, comme en extase. A présent, elle fixait une croix accrochée au mur d’en face, les yeux exorbités, la bouche entrouverte. On l’eût dit possédée par un quelconque démon.
Cette vision se grava dans l’esprit enfiévré d’Elaine. Les formes de la Supérieure étaient trop proches de la perfection pour que cela ne fût pas le signe d’une présence maléfique. Seul le Maître des Enfers, songeait la jeune fille, horrifiée, pouvait ainsi gommer les stigmates du temps afin de nier l’œuvre de Dieu lui-même...
L’apothicaire n’était-il donc qu’un des séides du Diable, un de ses dociles instruments qui métamorphosait à l’aide d’onguents magiques le corps d’une femme âgée en celui d’une jeune beauté ? Et la Supérieure, qui avait désormais pour son enveloppe charnelle les yeux de Chimène, n’avait-elle pas oublié les préceptes de la Religion et fait sienne l’un des sept péchés capitaux ?
Ce plaisir qu’Elaine la voyait éprouver, sous les doigts d’Angélus, ne s’appelait-il pas Luxure ? Comment Soeur Camille de l’Incarnation pouvait-elle oublier qu’en entrant chez les Bénédictines, elle avait fait voeux de chasteté ? Qu’est-ce qui la poussait à mentir aussi effrontément à la face de Dieu et du Monde ?
Angélus Gabrielli venait d’oindre les pieds de la Supérieure et, comme pris d’une fièvre soudaine, il les embrassa alors que la Supérieure fermait les yeux, tout en murmurant une prière. Désarçonnée par cette attitude, la voyeuse sentit son cœur se serrer. L’apothicaire ne venait-il pas d’offenser ainsi la mémoire du Fils de Dieu qui lavait les pieds des pêcheurs en signe d’humilité ? Ce n’était plus maintenant du dégoût qui envahissait Elaine, mais un début de colère.
Le jeune homme fit signe à sœur Camille de se retourner et, après que cette dernière eût obéi, il resta quelques secondes immobile, comme s’il fixait la blessure que portait toujours la Mère Supérieure au milieu des reins. C’est alors qu’il parla d’une voix douce, rompant ainsi le charme vénéneux du moment.
- Tu es sûre, Camille, de ne pas vouloir de mon onguent pour soigner ta blessure ?
La Supérieure tourna la tête et répondit, d’une voix lasse mais ferme.
- Non, Angélus. Les élancements provoqués par la douleur me rappellent que je suis une impie, que je n’ai pas le droit de diriger ce couvent...
- Tu es la meilleure personne que j’aie jamais connue ! s’écria l’apothicaire en avançant la main et en caressant le cou de la religieuse. Toi seule m’as toujours soutenu, même lorsque toutes les médisances stigmatisaient ma folie. Jamais tu n’as failli dans cet amour qui est, par moment, plus fort que celui que tu portes à Dieu lui-même !
La religieuse sursauta, blêmit et se signa.
- Je t’en prie, Angélus, ne blasphème pas, fit-elle en tremblant.
- Je ne blasphème pas. Je dis la vérité et si ce Dieu que tu sers nous regarde, je m’adresse à lui pour lui demander ceci : comment Toi, qui es censé être la bonté même, oses-Tu faire subir ces horribles épreuves à tes pauvres créatures? J’en viens à penser, devant tant de douleurs, que Tu te régales de les voir ainsi contrefaites, percluses, abîmées dans leur corps et leur âme... Sous ton impitoyable férule, ces créatures ne sont que d’infimes fétus de paille dont Tu sembles te jouer, pour un dessein secret que Toi seul Tu as déterminé...
- Tais-toi ! supplia Camille de l’Incarnation en se retournant et en lui mettant la main devant la bouche. Je t’en prie Angélus, Mon Angélus... Ne dis pas des choses pareilles ! Sinon mon sacrifice n’aura servi à rien. Je suis à toi, Angélus, fais de moi ce que tu veux, mais que plus jamais un seul propos sacrilège ne sorte de ta bouche !
- Hé bien, ajouta l’apothicaire, continue simplement à te passer chaque jour de cette crème. Pour le reste n’en parlons plus.
Elle lui faisait face dans sa nudité et le tenait fermement par les épaules, ses yeux rivés aux siens. Sur son visage soudain creusé et grave passaient des sentiments contradictoires, amour mêlé à la haine, crainte et véhémence étroitement embrassés.
Elaine n’osait respirer, de peur que son souffle ne soit entendu. Glacée de la tête aux pieds, elle avait le sentiment de s’enfoncer dans des sables mouvants. Les propos de Sœur Camille confirmaient son horrible soupçon : la religieuse était amoureuse de l’apothicaire et cet amour contre-nature la remplissait d’une horreur sans nom. Accessoirement, aussi, ce qui lui avait été révélé confirmait une partie de ses soupçons. Angélus Gabrielli était bien, hélas, responsable de la mort d’Adrien.
***
Cette quasi-certitude laissait la place à un sentiment d’intense effroi. La jeune femme entrevoyait un plan démoniaque dans lequel s’étaient abîmés Angélus et Soeur Camille de l’Incarnation. Plus que tout, Elaine se rendait compte qu’elle était jalouse de cette femme dont elle enviait les relations privilégiées entretenues avec l’apothicaire. Ce médiocre sentiment l’atterrait. Comment expliquer qu’elle éprouvât de l’intérêt pour l’assassin de son amant ? Elle se promit que, désormais, elle n’y céderait plus et qu’elle ferait tout pour que l’infâme individu soit justement puni.
***
(A Suivre)
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"Alors, comme ça, tu refuses
de manger avec moi, hein?
- Mais j'ai pas faim!
- Et la convivialité, hein,
la Con-vi-via-li-té?!"
On ne mange plus pareil,
mange-t-on encore ensemble ?
ALEXANDRA BOGAERT
(...) Crudivores, vegans, allergiques, croyants... Les demandes d'alimentations particulières se multiplient. L'individualisation par l'assiette menace-t-elle la convivialité française ? Claude Fischler, anthropologue, nous éclaire.
/ Terra eco : Certaines alimentations sont dites « particulières »... par rapport à quoi ?
- Claude Fischler : L’alimentation en général est tout sauf particulière. Elle est collective, sociale, partagée. Dans de nombreux endroits du monde, on mange dans un plat commun avec sa cuillère ou sa main droite. Tout le monde est là, il y a des règles de savoir vivre à respecter comme pousser les beaux morceaux vers les anciens, parler à tel moment, ne pas parler, etc. Une personne qui mangerait seule serait très mal vue, elle s’extrairait du cercle de la commensalité (le fait de partager un repas, ndlr). Quel que soit l’endroit du monde, des soupçons émergeraient à son égard – jette-t-elle des sorts, a-t-elle empoisonné le plat ? De plus, une enquête menée aux Etats-Unis, en France et au Danemark a montré qu’on apprécie davantage un repas quand on le mange en compagnie que seul. Et si vous arrivez chez un étranger et que vous refusez sa nourriture, vous l’offensez, de la méfiance s’installe. Or, aujourd’hui, c’est précisément l’inverse qui se produit.
/C’est-à-dire ?
- Aujourd’hui, autour d’une table, vous pouvez avoir une personne qui mange cacher, l’autre est végétarienne, une autre est vegan, une énième est allergique à tel ou tel aliment, etc. Lors des repas se multiplient désormais les revendications médicales, éthico-religieuses, politiques. Et on constate un renversement de l’obligation de partage : désormais, c’est l’invité qui exige de l’invitant qu’il satisfasse ce que les anglophones appellent ses « dietary requirements » (régime alimentaire en français). On en arrive à des situations d’individualisation extrême de la nourriture.
/ La France est-elle affectée par ce phénomène ?
- Ca commence. Jusqu’à il y a peu, il y avait deux visions de l’alimentation dans le monde occidental : l’une protestante, l’autre catholique. La première considère que l’alimentation est une consommation comme une autre d’un individu libre et responsable, qui exerce ses choix de façon rationnelle. C’est le discours des Américains, qui parlent plus de nutrition que d’alimentation, pour qui se nourrir est un acte privé, censé les maintenir en bonne santé – même si le taux d’obésité montre que ça ne marche pas toujours... Pour les Français en revanche, manger est un acte social, qui requiert des conditions de temps, de lieu, de structure : on mange à table, une entrée/un plat/un dessert, à horaires fixes, en compagnie. Souvent, si on n’a avalé qu’un sandwich le midi, on considère ne pas avoir fait un vrai repas. Donc pas avoir vraiment mangé.
/ A quoi est dû le développement des alimentations particulières ?
- De nombreux mangeurs évoquent des arguments médicaux, comme les allergies, pour justifier de manger différemment du reste du groupe. D’après les spécialistes des allergies, 30% de la population déclare avoir une allergie alimentaire alors que le taux réel est inférieur à 4% (c’est notamment le cas de l’allergie au gluten, ndlr). Ceux qui s’auto diagnostiquent allergiques font souvent un rejet de l’alimentation transformée par les industriels. Ils se disent intolérants à tel ou tel additif, pensent réagir aux effets des pesticides, et privilégient les aliments « naturels ».
/ D’où l’engouement pour ces produits ?
- En fait, les alimentations particulières sont souvent une manière de se réapproprier son alimentation quand on ne sait plus ce que l’on mange. Il existe un « principe d’incorporation »implicite mais universel, qui veut que l’on soit ce qu’on mange. Donc si vous êtes ce que vous mangez et que vous ne savez plus ce que vous mangez, il y a un problème ! Le moyen pour savoir ce qu’on mange, c’est de choisir son alimentation, en fonction de différents critères qui nous sont propres. C’est pour cette raison que se développent une infinité de régimes très étonnants parfois, comme celui adapté à chaque groupe sanguin, ou celui qui érige le jus de germes de blé comme aliment magique.
/ Les industries ont compris le filon, et développent ces produits dans les rayons des supermarchés. La demande est-elle vraiment forte ?
- C’est surtout que depuis que l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fait le ménage dans les allégations santé, les industriels de l’agro-alimentaire ne peuvent plus trop vanter les mérites des produits santé. Donc ils mettent le doigt sur ce qui est porteur et le développent.
/ Le fait de ne pas tous manger la même chose menace-t-il le « manger ensemble » propre aux Français ?
- Pas forcément. Prenez cet exemple révélateur : lors du déjeuner de presse organisé pour le lancement du livre « Les Alimentations particulières », il a d’abord été envisagé de proposer quatre menus différents. Mais, d’un point de vue logistique, c’était compliqué. Donc il a été décidé de diviser les assiettes en quatre. C’est une façon très française de régler le problème car, au final, tout le monde a mangé la même chose ! On invente de nouvelles formes de commensalité. Ainsi, manger différemment ne signifie pas la fin du lien social. Le modèle convivial français résiste de façon étonnante, même si l’individualisation des assiettes se généralise. La preuve, les horaires des repas restent synchrones : à 13h, la moitié des Français sont à table. Au Royaume-Uni, ils ne sont jamais plus de 17% de la population à manger en même temps. Quant au temps passé à manger à table, il est de 135 minutes par jour selon une étude de l’OCDE. C’est le record mondial. (...)
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(Dans ce lointain pays, les femmes devaient
user de certaines armes, non féminines,
pour que les hommes consentent à se reproduire...)
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"Pour les multinationales...
Hip,hip, hip..."
Irancartoon Web Gallery
Bono, la fausse voix de l'Afrique
George Monbiot
(...) En 2005 déjà, il n'avait pas été très glorieux. Cette année-là, lors du sommet du G8 en Ecosse, Bono et Bob Geldof avaient tressé des lauriers à Tony Blair et George W. Bush, tout auréolés de leur boucherie irakienne. Geldof s'était assis sur les genoux du Premier ministre britannique, au sens propre comme au figuré, et des militants africains les avaient alors accusés de confondre leur campagne pour la justice mondiale avec un vaste mouvement de charité.
Cette fois, c'est pire. Alors que le Royaume-Uni a accueilli un nouveau sommet du G8, la campagne menée par Bono – et avec laquelle Geldof travaille étroitement – semble aujourd'hui absoudre l'action des pays du G8 en Afrique.
L'idée d'une "Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition" a été lancée en 2012 aux Etats-Unis, alors hôte du G8. Cette alliance pousse les pays africains à signer des accords permettant à des sociétés étrangères de faire main basse sur leurs terres, de breveter leurs semences et de verrouiller des monopoles sur leurs marchés alimentaires. Restant sourds aux voix de leurs peuples, six gouvernements africains ont déjà signé des accords avec des entreprises comme Monsanto, Cargill, Dupont, Syngenta, Nestlé et Unilever en échange de promesses d'aides de la part du Royaume-Uni et d'autres nations du G8.
De nombreux militants, aussi bien en Afrique qu'en Europe, dénoncent les pratiques de cette "nouvelle alliance", mais la campagne ONE – dont Bono est cofondateur – prend sa défense. Les responsables de ONE ont d'ailleurs publié un article la semaine dernière. Un article remarquable : il laisse complètement de côté l'intérêt des responsables africains et de leurs peuples, il exagère le rôle de petites entreprises africaines, mais surtout il ne mentionne à aucun moment l'injustice au cœur de la "nouvelle alliance", à savoir la nouvelle vague d'accaparement des terres qu'elle soutient. Cela a naturellement piqué ma curiosité. (...)
(...) J'ai d'abord découvert que Bono avait déjà fait l'éloge de la "nouvelle alliance" juste avant l'ouverture du sommet du G8 de l'année dernière aux Etats-Unis. J'ai ensuite appris que la campagne ONE était essentiellement financée par la fondation de Bill et Melinda Gates, dont deux responsables exécutifs figurent parmi les membres du conseil d'administration. Cette fondation travaille avec le géant de l'agroalimentaire Cargill et le spécialiste des biotechnologies Monsanto (dont elle détient une part importante du capital).
Répondant aux accusations d'accaparement des terres en Afrique, Bill Gates a répondu que "bon nombre de ces accords étaient bénéfiques et qu'il serait dommage d'en bloquer certains à cause de l'approche particulière des sociétés occidentales" (vous remarquerez qu'une fois encore il n'est pas question des Africains).
Enfin, j'ai découvert que tout cela durait depuis bien longtemps. Dans la biographie brillante et caustique de Bono qui vient de paraître au Royaume-Uni (The Frontman : Bono, in the Name of Power), Harry Browne affirme que "depuis près de trente ans, Bono, en tant que personnalité publique, amplifie le discours des élites, défend des solutions inefficaces, fait la leçon aux pauvres et lèche les bottes des riches et des puissants". Son raisonnement est "un mélange habile de colonialisme commercial et missionnaire, dans lequel les pays pauvres ne sont qu'un défi que doivent relever les pays riches".
Browne accuse Bono d'être devenu "le visage compatissant de la technocratie mondiale", un homme qui, sans aucun mandat, s'est autoproclamé porte-parole de l'Afrique et a servi de "couverture humanitaire" aux responsables occidentaux. En présentant les pays occidentaux comme les sauveurs de l'Afrique sans parler des dégâts causés par le G8, il a affaibli les mouvements pour la justice et la transparence tout en apportant une légitimité au projet néolibéral. (...)
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Luc Desle
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