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Pensées pour nous-mêmes:
(TANT VA LA BUCHE A l'EAU
QU'A LA FIN ELLE SE MOUILLE)
QU'A LA FIN ELLE SE MOUILLE)
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COURTS RÉCITS AU LONG COURS (86)
pcc Benoît Barvin
Regard
C'était un beau bébé pesant dans les trois kilos. Un bébé tout rose, le crâne imberbe, avec une bouille ronde, un nez retroussé, une bouche charnue, un sourire charmeur. Une vrai frimousse de publicité. Sauf qu'il y avait ces yeux: des petits trucs ronds, durs, pareils à des billes d'acier, qui vous fixaient comme s'ils voulaient vous perforer l'âme. Et alors que tout le monde s'extasiait, ses parents et mon épouse, je restai debout, mal à l'aise, transpercé par ces yeux que j'estimais méchants car ils ne cessaient de revenir à moi...
Mon épouse Déborah se retournait souvent dans ma direction, visage extatique, ce qui lui donnait l'air d'une vraie gourde: "qu'il est mignon, ne cessait-elle de répéter, un vrai petit ange". Et elle me serrait convulsivement la main, retournant à son objet d'adoration alors que les heureux parents, eux, ne cessaient d'arborer l'expression niaise de ceux qui sont comblés. Comblés par la naissance de ce faux angelot! Je me retenais à grand peine de ricaner...
Cette nuit-là, Déborah se montra très réceptive au lit. C'est même elle qui me sauta dessus et fit si bien que la "séance" dura jusqu'au petit matin. Elle était déchaînée, moi pas du tout. Je connaissais les raisons de cet entrain: cela faisait quatre ans, maintenant, que nous essayions d'avoir une enfant, sans succès. La naissance du "bébé" avait enclenché, chez elle, la surmultipliée de ce désir maternel. Moi, je n'avais jamais été taraudé par cette envie. Au fond, me prolonger via une petite larve, ça ne me disait rien.
J'avais une vie insignifiante. Pas vraiment ennuyeuse, non. Pas exaltante non plus, c'est vrai. Une vie, quoi, un "truc" dans lequel les jours succédaient aux jours, les propos sans intérêt aux actions inutiles... Pas folichonne, cette vie, mais pas inintéressante non plus. Quoique. Bref, entre moi et Déborah ça n'avait jamais été la grande passion et l'exercice physique de la nuit ne fit rien pour la faire naître...
"Naître"... Nous allâmes deux ou trois fois voir le bébé. Il souriait, vagissait, tétait directement au sein de sa mère. La voisine - Denise - semblait métamorphosée à chaque fois qu'elle sortait son organe, qu'elle le tendait vers la bouche goulue de son rejeton. Celui-ci faisait des bruits dégoûtants en pompant le lait maternel. Jacques, le père, arborait la fierté du mâle qui a produit, du premier coup, une descendance masculine et je savais, pour l'avoir entendu de nombreuses fois me l'avouer, qu'il voulait faire de son "fils" un champion de foot. C'est dire.
Jacques et Denise... Mon Dieu, quelle engeance. J'oubliais Déborah, bien sûr, dégotée dans la Fac des Lettres où elle apprenait le Français. Elle le baragouinait toujours, après quelques années, enflait peu à peu, bref c'était la classique américaine qui-adore-les-enfants, son-mari-reproducteur et accumule-les-régimes-pour-lui-plaire... Pas sotte, en plus, puisqu'elle officiait en tant qu'ingénieur en informatique.
Jacques, Denise, Déborah... La Sainte Trinité "Travail/Famille/Patrie" que je honnissais, depuis toujours j'en étais sûr, trinité qui faisait de ma vie un banal enfer, mais un enfer quand même. Et voilà qu'à présent arrivait le "gniard". Un lardon qui, chaque fois que j'entrais dans la pièce où il se trouvait, tournait la tête dans ma direction et me plantait son regard féroce dans le mien. Je savais ce qu'il pensait... Je le savais!
Nos voisins et notre couple avions immédiatement sympathisé. Enfin, à cause de mon épouse, évidemment. Nous passions des soirées à jouer à toutes sortes de jeux de cartes, passion chez Déborah, abhorration chez moi. Les parties duraient une partie de la nuit. Les trois autres prenaient plaisir aux échanges verbaux, et je riais avec eux, avec l'envie de les étriper sur place. Mais, depuis que je suis enfant, j'ai toujours su déguiser mes mauvaises sentiments. Alors j'éclatais également d'un rire hystérique et n'étais pas le dernier à lancer une blague en dessous de la ceinture...
Il y eut cette fois où, ayant trop abusé d'alcool, tout le monde s'endormit dans le salon, qui dans un fauteuil, qui sur le tapis, qui sur le divan. Pendant la nuit, je sentis des mains qui se faufilaient entre la ceinture de mon pantalon et mon ventre. La suite est facile à deviner: Denise était chatte, chaude, ruisselante. Je l'avoue, ce fut un bon moment. Mais, au petit matin, tout le monde avait repris ses esprits...
"C'est le tien", disait les yeux de ma voisine, à chaque fois qu'elle me regardait. Elle me l'avoua même, à mi-voix, en me le désignant, un jour. "C'est la conséquence de... enfin tu sais de quoi je veux parler... Jacques est fou de joie. Lui qui se croyait stérile... Tu lui as fait un beau cadeau..."
Un beau cadeau, ce bambin qui gigotait comme un ver? Un cadeau empoisonné, alors. D'autant qu'il ne m'avait toujours pas à la bonne, même trois mois plus tard. C'était toujours une sorte de concert silencieux quand nos regards croisaient le fer et, à ma grande honte, j'avoue que c'était moi qui rompait le premier le combat.
Au quatrième mois, ma décision fut prise. Je m'étais renseigné sur la mort subite du nourrisson. Je savais comment m'y prendre. Il fallait que je la supprime, cette sale petite ordure qui allait faire du reste de ma vie, cette fois, une douleur sans nom. Je me fis câlin avec Denise, proposai de garder l'enfant pendant qu'elle irait faire les courses, un jour où je ne travaillais pas. Elle accepta. A peine sa voiture avait-elle disparu de l'allée que je me précipitai dans la chambre du mioche, étreignant un coussin. Il m'attendait. Il souriait, m'a-t-il semblé, alors que j'avançais en brandissant mon engin de mort.
Je dégoisai toute ma haine, avant de plonger le coussin sur le visage de l'enfant qui se mit à gigoter avec une force peu commune. Je l'entendis même hurler, m'appelant par mon nom, bredouillant que j'étais fou, qu'un père ne pouvait pas faire ça. Si, je le pouvais. Je le devais même...
Et puis il se dégagea, à ma grande surprise. Je reçus un coup violent dans le visage. Sonné, je fis trois pas en arrière, alors qu'on me saisissait. Je me débattis et, de nouveau, on me frappa. Je m'effondrai, ceinturé par des mains vigoureuses. Quelqu'un - Déborah? - lançait des phrases incohérentes: "Précipité vers moi... m'étranglait... Si tu n'étais pas arrivé à ce moment... Jacques! Il est fou! Fou!".
Quelque chose de dur résonna sur le haut de mon crâne. Une douleur subite m'envahit. Je poussai un beuglement: "Mais je ne te veux aucun mal, Déborah! Lâchez-moi! C'est le bébé! Cette saloperie de gniard! C'est l'enfant du Diable, vous ne voyez pas! Il faut le supprimer!!!"
Alors, la voix déformée par l'émotion, j'entendis clairement Denise bredouiller: "Le bébé? Quel bébé? Il n'y a jamais eu de bébé... Oh Mon Dieu, Déborah! Tu as raison, ton mari est complètement dingue... Appelle les flics!"
Un dernier coup, asséné par Jacques, je suppose, me fit glisser dans des gouffres amers.
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(Madame Zaza effleurant une fausse marguerite)
Jacques TARDI - Sketchbook, 1999
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"Moi aimer toi Princesse...
- Grand sot! Tu sais parler aux femmes, toi!"
- Grand sot! Tu sais parler aux femmes, toi!"
Caza (B. 1941, Paris)
Abzalon 2002
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(Les officiers d'appontage s'entraînant dans le désert)
Jacques TARDI - Drawing for the movie “Le Désert Rouge”
(The Red Desert) by Antonioni - with actress Monica Vitti -
1997 - In french comics magazine (A SUIVRE)
Editions Casterman
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"Mais je suis trop beeellleee...
Que fais-je donc dans cette page
où les filles sont moches?"
Que fais-je donc dans cette page
où les filles sont moches?"
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Blanche Baptiste
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