Pour rappel, voici un texte de Paul Ariès sur les raisons de ne pas voter Sarkozy. Ca a été écrit, bien sûr, avant son adoubement par des Français myopes, atteints de surdité et, au final, auto-destructeurs. La fin du jeu n'est pas encore sifflée, aussi la résistance est-elle de mise.
Dix bonnes raisons pour les casseurs de pub et les objecteurs de croissance de ne pas voter Sarkozy !
Il existe plein de bonnes raisons de ne pas voter Sarkozy communes ou spécifiques aux électeurs de gauche ou du centre. Nous avons aussi en tant qu'objecteurs de croissance nos propres motifs. Le sarkozysme représente en effet le programme anti-décroissance par excellence.
Premièrement, parce que Nicolas Sarkozy ne nous aime pas. Nous serions des malthusiens mais aussi des gauchistes recyclés. Tout en estimant légitimes les inquiétudes suscitées par le progrès scientifique, il s’en prend « aux orphelins de la pensée marxiste-léniniste qui se seraient engouffrés dans la brèche ». La convention de l’UMP sur l’écologie commence ainsi par une mise en garde solennelle : « Contre les chantres d’un nouveau malthusianisme : la protection de l’environnement n’implique pas de passer à la croissance zéro. » Plus incisif encore, Nicolas Sarkozy ajoute : « Je veux dire aux sectaires idéologiques que nous avons tout à perdre de la décroissance. » On comprend le lapsus initial du site de l’UMP annonçant que Hulot signerait le pacte écologique de Hulot (Blog de l’UMP, 14-12-2006). Il faut en effet un sacré culot pour prétendre faire de l’UMP la championne de l’écologie même si Sarkozy a annoncé en présence de Nicolas Hulot et de Roselyne Bachelot son ambition de régler tous les problèmes environnementaux « en une génération » et « en deux générations pour le climat ». Mais pourquoi n’a-t-il pas profité de ses multiples fonctions de ministre pour défendre la loi littoral ou la création d’une taxe sur la publicité ou les activités polluantes ?
Deuxièmement parce que Sarkozy c'est la religion de la croissance. La croissance serait, selon lui, le remède aux méfaits de la croissance : « Le projet de développement durable, c’est un projet qui n’oppose pas la croissance, l’écologie et les défis sociaux. » La convention de l’UMP l’affirme : « Au-delà d’un certain seuil de revenu par habitant, la croissance conduit à une amélioration de la qualité de l ’environnement. » Autrement dit, on guérira le mal par le mal : un peu de croissance économique serait nuisible mais beaucoup serait salutaire. Il suffirait que l’État oblige à internaliser les coûts environnementaux, bref à faire payer les pollueurs... D’après Sarkozy, ce serait une erreur de craindre que le « dumping environnemental » conduise les entreprises les plus polluantes à se délocaliser vers les pays du Sud, et cette écologie version bio-industrie pourrait même devenir une source extraordinaire de croissance économique puisqu’on pourrait gagner beaucoup d’argent en dépolluant après en avoir gagné tout autant en polluant. Le programme sarkozyen est donc simple : plus on produit, plus on consomme, moins on pollue. L’UMP ajoute bien sûr que les « théoriciens de la décroissance lui sont évidemment hostiles ».
Troisièmement parce que Sarkozy c'est l’idéologie du travail. Il a proposé lors de son intronisation à la tête de l’UMP d’en faire avec le Respect et la Patrie l’un de ses trois pilliers. Lorsque Sarkozy vante les mérites du travail, il ne parle pas comme les anciens de l’amour du travail bien fait, il a en tête la généralisation du travail aliéné et mal payé y compris le dimanche. Cet amour paradoxal du travail n’est pas seulement motivé par des préoccupations économiques mais par un positionnement moral : « Je crois au travail, je crois au mérite, je crois à l’effort, je crois à l’énergie. » L’individu sans travail serait en effet la proie de tous les vices : non seulement le travail ferait des citoyens mais il libérerait l’homme, le grandirait et le moraliserait. Il faut donc remettre la France au travail plutôt que d’entretenir des rêves de loisirs ou de temps libre. Rien de plus étranger à Sarkozy que notre critique de la valeur travail comme fondement de la société économique. Rien de plus nuisible à ses yeux que l’exigence d’un revenu inconditionnel visant à desserrer l’étau de l’économie pour ne plus vivre comme des forçats du travail et de la consommation.
Quatrièmement parce que Sarkozy c'est le culte de la consommation. Son principe du « travailler plus pour gagner plus » est totalement anti-décroissant. C'est une façon de maintenir les gens dans l’illusion du "toujours plus" et donc dans l'indigence. L’un ne va en effet jamais sans l’autre puisqu’un bon consommateur est toujours un être frustré. Pas question pour Sarkozy de protéger les consommateurs de l'agression publiciatire, pas question non plus de démanteler les centres commerciaux qui défigurent nos existences, pas question de remettre en cause l'uniformisation de nos modes de vie par les transnationales.
Cinquièmement parce que Sarkozy c'est « la guerre de tous contre tous ». Sarkozy développe la méfiance à l'égard des plus faibles et des plus pauvres. Il veut généraliser la concurrence entre les peuples et les salariés. Non seulement il veut faire travailler les plus jeunes et les plus vieux, mais il prône avec son « immigration choisie » une politique qui pille les pays du Sud de leur richesse principale (les humains) et permettrait de maintenir en France un volant de chômage suffisant pour faire taire les nouveaux pauvres. Sarkozy est aussi le meilleur représentant en France de la thèse du choc des civilisations. C’est pourquoi il préfère s’exhiber en compagnie de Tom Cruise, VRP de luxe de la scientologie, plutôt que de combattre activement ces pseudo-religions adeptes d’un capitalisme sans limites...
Sixièmement parce que Sarkozy c'est le choix d'un monde unipolaire. Le vrai danger serait à ses yeux de croire que d'autres politiques que celle imposée par l'empire américain seraient possibles. « Sarko l’Américain » et « Sarko l’Israélien » sont deux visages de ce que le libéral Claude Lamiran nomme l’esprit Euricain : « Un Euricain est toute personne qui se réfère ou se comporte selon les codes et les valeurs dominantes façonnées par l’Occident. » Non seulement les partisans de la décroissance sont contre tout ethnocentrisme mais ils considèrent que l’Occident a une lourde responsabilité dans l’effondrement global actuel. Le tout-économique, la course au profit et la foi totale dans la science sont nos grands péchés. Nous sommes convaincus en revanche que notre héritage comporte aussi des pages heureuses comme la défense de la laïcité, de l’autonomie et de l’esprit critique que nous voulons partager avec tous les peuples. Ce sont justement ces valeurs que Sarkozy ne reconnaît plus puisqu’il ne cesse de clamer que les valeurs de la République seraient insuffisantes pour faire société. C’est pourquoi il affiche de manière ostensible ses convictions catholiques. Les objecteurs de croissance continuent dans la sphère publique à préférer Marianne à Marie ou à Fatima.
Septièmement parce que Sarkozy c'est la stratégie du « tous responsable ». Dans le document consacré à l’écologie qui sert de base programmatique pour la campagne présidentielle de Sarkozy, il est écrit : « Ce que les Verts ont fait de pire à l’écologie c’est de braquer les uns contre les autres ceux qui avaient toutes les raisons de se réunir (…). On peut parler des problèmes, sans désigner immédiatement des coupables (…). Notre proposition doit être de passer d’une écologie de la division à une écologie de la conjugaison ; c’est-à-dire une écologie où chacun prend sa part des efforts et retire sa part des bénéfices. » Ce refus de désigner des coupables est bien pratique puisqu’il permet d’en rester à l’idée confortable que chacun serait à la fois « source et victime de la pollution ». La grande solution serait une « écologisation progressive des pratiques domestiques ». Le jour où chacun se forcerait au tri sélectif, l’humanité serait sauvée... Il suffirait donc que chacun soit un peu moins égoïste et tout irait bien. Ce choix de ne pas nommer de coupables rend bien sûr le mouvement pour la décroissance fort peu sympathique au candidat Sarkozy.
Huitièmement parce que Sarkozy c'est le culte de la propriété privée. Ainsi lorsqu'il parle de respect il parle en fait de respect de la propriété … Son objectif est de passer d’une société qualifiée d’assistanat (ces méchants pauvres qui abusent de la générosité des riches) à une société de propriété. Nous préférons, nous, la solidarité et la logique des droits au « chacun pour soi » de Sarkozy. C’est pourquoi nous combattons aussi son idée de bouclier fiscal (qui est la légalisation de l’évasion fiscale) pour revendiquer une importante réduction de la hiérarchie des revenus via la fiscalité. Au-dessus d’un certain montant, dit Sarkozy, l’État ne doit rien prendre, nous, nous disons : il doit tout prendre.
Neuvièmement parce que Sarkozy c'est le renforcement de l’État répressif. Sarkozy n’est pas l’ami de la loi qui libère mais de la loi qui opprime. Sa politique sécuritaire est fondamentalement un échec. Le but de la police n’est pas d’être détestée, même dans les quartiers, mais de faire respecter les règles de vie communes. Seule une police de
proximité (déconstruite par Sarkozy) peut éviter une dérive sécuritaire même si elle ne règle pas le zèle de certains fonctionnaires… Sarkozy est l’homme de la télé-surveillance et du renforcement de l’appareil répressif. Ce choix d’un État répressif fort s’explique par son analyse de la crise des valeurs. Pour Sarkozy, c’est le « relativisme culturel » qui explique la crise des valeurs et non pas le fait que les seules valeurs qui comptent dans une société de croissance économique soient celles cotées en bourse. Il faut avoir lu Allan Bloom, auteur de L’âme désarmée, essai sur le déclin de la culture générale, ou Claude Rochet, auteur de Gouverner par le bien commun, pour comprendre les enjeux moraux du sarkozysme : ce ne serait pas l’inversion du sacré et du profane par la profanation de nos grandes valeurs (comme la liberté, l’égalité, la fraternité ou les biens communs et services publics) ou par la sacralisation des valeurs de pacotille du marché (le culte de la réussite, de l’argent, du paraître, etc.) qui serait responsable de la crise actuelle mais les atteintes au droit absolu de propriété sous prétexte d’émanciper les pauvres. Non seulement, comme le clame Christian Michel dénonçant « la pornographie de la solidarité », « une société n’est jamais solidaire » car seuls des individus libres pourraient l’être, ce qui suppose de remplacer la solidarité « contrainte » par la générosité volontaire (vivent les ONG, les soirées Téléthon), mais il faudrait apprendre à « aimer les riches » plutôt que les pauvres.
Dixièmement parce que Sarkozy aime les riches bien plus que les pauvres. Philippe Manière, le directeur de l’institut Montaigne qui nourrit tant le programme de l’UMP, le dit sans fausse pudeur : « Les riches d’abord nous font vivre. Gagnant plus que les autres, ils consomment plus que les autres. Or la consommation des uns, c’est le revenu des autres (...). Plus on est riche, plus on dépense donc plus on fait vivre le reste de la population (...). Chérissons donc les riches et défendons leurs intérêts contre l’État (...). Les Français, peuple de refoulés, sont les derniers à adorer le Veau d’or, puisque les seuls à ne pas oser lever les yeux sur lui »... C'est pourquoi Sarkozy veut que cette France riche puisse se reconnaître en lui au travers de mesures à forte valeur symbolique comme la franchise sur les droits de succession : « Il y a des Français qui n’ont jamais été au chômage, jamais perçu l’ASSEDIC, jamais été au RMI et qui pourtant souffrent eux aussi parce que le temps est dur, parce que la vie est chère et surtout parce qu’ils ont la pénible sensation d’être toujours assez riches pour payer des impôts et jamais assez pauvres pour bénéficier des mesures sociales. » Le sarkozysme déculpabilise les riches et culpabilise les pauvres. Les objecteurs de croissance combattent à la fois l’injustice sociale et l’idée qu’il suffirait de faire grossir le gâteau et non d’en changer la recette.
Le sarkozysme est finalement beaucoup plus que Sarkozy lui-même. Courant politique largement importé, il est la version française de la contre-révolution conservatrice mondiale. Si cette greffe devait prendre, elle renforcerait la possibilité de faire de la pauvreté la variable d’ajustement face à la crise écologique, c’est-à-dire de faire payer aux pauvres les conséquences de la dictature économique et de la croissance...tant qu'elle reste possible. La décroissance ne fait certes pas encore un programme mais elle en défait pas mal. Le sarkozysme n’est ainsi compatible ni avec nos valeurs ni avec nos revendications. Nicolas Sarkozy doit être impérativement battu.
Paul Ariès, est membre de Casseurs de pub et auteur de Misère du Sarkozysme (Parangon, 2006).
Vous êtes encouragés à reproduire ce texte en indiquant sa source : www.casseursdepub.org
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