Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

mercredi 27 mars 2013

"Ce désaccordeur de piano croulait sous les demandes". Jacques Damboise in "Un peu de tout et de rien".

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Pensées pour nous-mêmes:

(CE QUE TU NE FAIS PAS
ON NE PEUT PAS TE LE REPROCHER)

Pcc Jacques Damboise


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COURTS RÉCITS AU LONG COURS (81)
pcc Benoît Barvin

Night (1880-1885), by Edward Robert Hughes

Vilain

   C'est ce qu'était mon voisin. Il ne montrait son vilain museau qu'avec précaution. Ses yeux exploraient le paysage alentour, la rue tranquille, les maisons individuelles, les véhicules en stationnement puis, comme un fantôme, je le voyais partir à pieds en direction de la ville, d'un pas lourd, les épaules voûtées, comme portant le poids du monde. Jamais je n'avais entendu le son de sa voix. Je l'imaginais grave et grasse, pleine de ce ressentiment qu'ont les "ratés" de la vie lorsqu'ils s'approchent de la fin de leur contrat.

   J'avais loué la petite villa voisine depuis quelques mois. J'avais dégoté un CDI dans une entreprise, via un chef du personnel à qui j'avais cédé dans ce but. Depuis, je l'évitais. Lorsque je me voyais dans le miroir de la salle de bain, j'apercevais une encore jeune femme d'un peu plus de trente ans, une brune au visage avenant, mais ça et là cernes et ridules trahissaient une beauté qui se fanait. Je n'avais jamais été mariée, ma solitude n'était accompagnée que de compagnons éphémères et ma vie, si elle en valait d'autres, ne me satisfaisait pas.

   Le "Vilain" d'à-côté m'avait vite paru le pendant, en masculin, de ce que j'étais devenue. J'avais une envie folle de lui parler, pour me trouver face à lui afin d'étudier ce visage aux traits lourds, comme inachevés, au regard inquiet - deux billes rondes et noires qui à la fois m'intriguaient et faisaient naître un drôle de frisson le long de ma colonne vertébrale.

   C'est un mercredi que j'eus l'occasion d'entrer en contact avec lui. Je sortis de la maison, passai devant sa large porte d'entrée lorsque celle-ci s'ouvrit. Il apparut. Dieu! De près il était encore plus laid que je ne croyais! Il me fit penser à Anthony Quinn dans "Notre Dame de Paris". Sourcils fournis, nez large et tordu, peau grasse parsemée de taches de vieillesse, cheveux épars d'une sale couleur rousse... Le "Vilain" portait un vieux pantalon de velours côtelé, un infâme pull couleur lie-de-vin et il exhalait une odeur d'ammoniaque ou d'acide, je ne sais. De saisissement, mon coeur s'emballa et je m'évanouis dans ses bras...

   J'ouvris lentement les yeux. Je me trouvais allongée sur un imposant sofa, dans un salon admirablement agencé: lourdes chaises des siècles derniers; bibliothèque en merisier, envahie d'ouvrages en cuir repoussé, aux lettres rehaussées à l'or fin; nombreuses statuettes venues des quatre coins de la planète, et dont j'aimai aussitôt la grâce alliée à la fragilité... Les lumières tamisées donnaient à la pièce un côté cosy qui me charma instantanément. Quant aux douces effluves de Verveine qui flottaient autour de moi, elles achevèrent de me rassurer.

   Le "Vilain" était placé en retrait, juste derrière. Il me parla et sa voix, douce comme le miel, anesthésia la panique qui, pendant quelques secondes, avait enflé dans ma poitrine. "Je ne vous veux aucun mal, disait la voix. Je vous ai amené chez moi car vous avez eu un malaise. Prenez ce bol de Verveine... Je fais moi-même mes tisanes... Vous vous sentirez mieux après".

   Mon hôte avait raison. A peine avais-je ingéré une lampée du breuvage, que toute angoisse disparut. Mon coeur battit paisiblement dans ma poitrine, j'étais même légèrement euphorique, ce qui me permit de me redresser et de me pivoter dans sa direction. Dans cette atmosphère douillette, et grâce à l'éclairage judicieusement disposé, le visage "quasimodien" du voisin se diluait peu à peu, comme s'il était effacé par un quelconque créateur invisible qui, rien que pour moi, remodelait sa créature...

   Les traits s'affirmaient, le nez s'affinait, les lèvres s'ourlaient, les yeux pâlissaient et adoptaient un magnifique et profond bleu marine... "Je suis pompette", pensai-je, étonnée de cette métamorphose mais au fond charmée par elle, car j'avais toujours aimé les contes de fées. "Si ce type devient un Prince dont l'unique ambition sera de m'embrasser goulûment, je ne suis pas contre", ajoutai-je en émettant un petit gloussement peu approprié.

   Le sang, brusquement, se figea dans mes veines. Le bas du visage, qui s'était allongé, se couvrait maintenant d'une barbe de même couleur que les yeux. Les lèvres purpurines s'ouvraient sur des dents d'une blancheur étincelante; des dents acérées qu'une langue gourmande vint caresser avec volupté. Je compris aussitôt que la métamorphose se faisait à mon détriment, que "la Barbe Bleue" habitait mon quartier...

   "La Barbe Bleue" n'était autre qu'un terrible tueur en série qui s'emparait de jeunes et jolies femmes pour leur faire subir les derniers outrages avant de dissoudre en partie leur corps dans des solutions d'acide... Il ne laissait intact qu'un bout de la femme disparue... le bout qu'il avait "adoré", suivant les propos des journalistes.

   Comme la Barbe Bleue se penchait sur moi, transformée en statue de sel, je me demandai quelle partie de mon corps il allait le plus chérir.


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Vous aussi, tentez les nouveaux métiers
issus de la crise.

Ce jour:

- Porteur de bougie allumée -

Richard Kern

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- Essayeur de chaînes rouillées -

Peter Laughner

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- Testeurs de draps pour colonie pénitentiaire -

Mary Wigman’s Dance School-Albert Renger-Patzsch

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- Ruchier vivant -

bee man


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Jacques Damboise (Tête chercheuse chez Paule Emploi)

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