Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

lundi 21 juillet 2014

"Cet homme politique avait eu une solide formation d'usurier de la pensée". Benoît Barvin in "Pensées pensées".

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Pensées pour nous-mêmes:

(TA RAISON EST-ELLE
LA DÉRAISON DE TON VOISIN?)

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(Le Capitalisme avait un sacré mal de tronche)



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(Technocrates européens débattant 
de la pérennité des lois humaines)


http://zeroing.tumblr.com/

« L'EFFACEMENT DU POLITIQUE »
DE PIERRE LE VIGAN

Un livre indispensable de réflexion pour l'été

Michel Lhomme

   (...) L'Union européenne s’est bâtie contre les Etats. Elle se veut l'amorce de l'Etat universel rêvé par Kant, la concrétisation du cosmopolitisme politique. Nous le rêvions humain et démocratique, il se révèle technocratique et totalitaire. L’attitude du Parlement européen est typique à cet égard. Une étude de la Diète fédérale allemande a établi récemment que 85 % de nos lois et règlements proviennent désormais de Bruxelles, ce qui vide de sens le principe même de subsidiarité et les délibérations de nos Parlements nationaux. Le mode d'être de la politique est la gouvernance à savoir la gestion des « affaires courantes », l'absence de toute autorité. 


   C'est ce que Pierre Le Vigan appelle « l'effacement du politique », la dépolitisation du monde. Elle est le règne du droit, la dictature du droit, la république des juges au cœur du grand marché. « Toute société a un droit oral ou écrit », nous rappelle Le Vigan mais « notre société se veut régie par le droit » (p.126). Ce n'est effectivement pas la même chose. Il faut dix ans pour rédiger un règlement ou une directive européenne, dix ans pour la modifier.

   La directive, résultat de la réflexion des experts vaut alors force de loi. Le peuple, même par ses représentants, n'est jamais consulté. On comprend, par l'analyse, que Pierre Le Vigan brosse du néo-constitutionnalisme contemporain ce sentiment que nous avons de ne plus pouvoir rien faire au quotidien. Ce sentiment d'absence de liberté n'est pas indépendant du processus de marchandisation extrême qui est à l'œuvre. Il en est au contraire sa logique même. On ne nous prive pas de notre liberté individuelle mais de toute liberté collective. Le pouvoir judiciaire est ainsi la nouvelle religion du temps ( p.136 ), les directives et les décrets arbitraires, le mode quotidien de gouvernement. Cela illustre le passage de la démocratie représentative à la démocratie procédurale, analysée aussi par les argentins Alberto Buela et Luis Maria Bandieri. Le droit est vidé, marchandisé, privatisé. Pierre Le Vigan fait la généalogie de ce processus, de Machiavel et Hobbes à Habermas, et c’est le grand apport de ce livre que de mettre à jour les racines profondes de la dépolitisation de l’Europe.


   Chez les économistes, on avancera que la zone euro est en crise, que la monnaie unique est inadaptée à des économies divergentes. On ne fait pas vivre en effet dans la même zone monétaire un marchand de machines-outils ou de voitures de luxe, l’Allemagne, et un marchand d’olives ou un armateur sans pavillon national, la Grèce, sauf à instituer une union de transfert des riches vers les pauvres. Mais Pierre Le Vigan va plus loin et rappelle l'essentiel, l'erreur européenne : vouloir construire une unité politique par l'économique.


   On sait que Jacques Delors ne lira pas Pierre Le Vigan. C'est un hommage. Delors a raillé plusieurs fois le concept, selon lui « bien français », de l' « Europe puissance ». A deux reprises en Commission des Affaires Etrangères et en Commission des Affaires Européennes, il a martelé l’utopie de l’Europe puissance, ajoutant qu’il n’y aurait jamais de politique étrangère commune. Pourtant, l’Union européenne a été pensée comme un bloc et construite comme tel dans les années 1950/60 pour faire pièce à la Guerre Froide et aux deux blocs, les Etats-Unis et l’U.R.S.S. S'il est illusoire de croire qu’une organisation de vingt-huit, bientôt trente Etats-nations, puisse constituer une force homogène, l'Europe n'existera pas non plus comme un agrégat de nations ou un galimatias d'Etats

   De plus, il n'y a pas accord sur l'Europe culturelle ( malgré l'Homère de Dominique Venner ), sur l'Europe religieuse ( malgré la chrétienté de François ), sur l'Europe linguistique ( malgré le mythe indo-européen de Nouvelle Ecole ), sur l'Europe ethnique (malgré l'homme blanc deTerre et Peuple ). Alors n'y aurait-il pas ou plus de substance européenne ? Mais alors quelle Europe ? Pierre Le Vigan en appellerait-il à un nouveau monde politique : l’ère des puissances relatives ? 


   La mondialisation des échanges dépasse le cadre des organisations régionales et singulièrement celui de l’Union européenne en pleine récession. En matière de politique étrangère, notre destin ne se joue plus sur la Vistule et l’Oder-Neisse, mais en Méditerranée, en Afrique, dans les pays du Levant, en Chine et dans tout le Pacifique. Mais peut-on encore parler d'une hyperpuissance capable d’imposer unilatéralement ses choix au monde ? Les Etats-Unis commencent de plus en plus à coaliser désormais les autres contre lui. A chaque tentative hégémonique correspond une nouvelle coalition qui se constitue et se défait : l’Irak, la Syrie, la Libye, le réchauffement climatique (Paris sera le siège, au mois de décembre, de la conférence sur le climat ). L’ancien Secrétaire à la Défense américaine, Donald Rumsfeld utilisait une formule juste: selon lui, aujourd'hui, « c’est la mission qui commande la coalition ». Alors, de quelle Europe avons-nous besoin ? De quelle mission ? Il faut poser la question. D'une Europe populaire ? D'une Europe de la puissance ? D'une Europe politique mais de quelle politique, pour quelle politique ? 


   Le bon sens cartésien nous guide : l’Union européenne s’est élargie, elle doit s’amaigrir. 80 % des compétences doivent redescendre au niveau des Etats. Il faut réconcilier la souveraineté nationale et la coopération européenne. Si les formes cité, nation, empire sont obsolètes, si l'Etat de droit se trouve dissous dans le droit et le tout juridique, l'état universel n'en est pas moins impossible parce qu'il contredit la nature politique de l'homme, empêche la dialectique de la reconnaissance et donc la réalisation de l'Histoire. Mais quelle unité politique défendre alors à l'échelon européen ? De fait, la Cour fédérale allemande a fermement rappelé en juin 2010 qu’il n’y avait pas de peuple européen, mais des peuples allemand, français, italien, etc. Et qu’en tout état de cause, pour l’Allemagne, le dernier mot appartenait à la seule Diète fédérale ! Le meilleur moyen, dès lors, est de constituer un Parlement européen à partir des Parlements nationaux – des Commissions aux Affaires européennes – qui siégerait ponctuellement dans une Union européenne fortement recentrée ou d'accepter la suzeraineté de la puissance allemande en Europe (ce qui ne se peut).


   Ces mois prochains, la question de l’Union européenne se reposera par l'attitude du Royaume Uni, l'indépendance possible de l'Ecosse, un référendum britannique à venir. La Grande-Bretagne devrait sortir de l'Union européenne mettant alors l'Union Européenne au bord d'une implosion à la soviétique. Depuis des décennies, de Rome à Lisbonne, la petite Europe des Traités a vécu dans la contradiction entre une idéologie fédéraliste sous-jacente et la pratique intergouvernementale. Elle a tenté d'ignorer la confusion antidémocratique de ses institutions par la « gouvernance » oligarchique et un surcroît d’ultralibéralisme. L'Union européenne a nié radicalement la souveraineté populaire. S'agit-il donc de retrouver le nationalisme, l'identité collective de base, le citoyen européen ?

   Pour Pierre Le Vigan, non, il s'agit de penser une refondation européenne mais sans nationalisme. Mais alors, de quel modèle politique peut éclore la refondation européenne ? De l'idée de confédération, la forme d’une confédération des Etats européens pouvant inclure la Fédération de Russie et la Turquie pour la simple raison que ces deux Etats participent et ont toujours participé à l’équilibre européen. Mais, il s'agit de confédérer par en bas (la généralisation de la démocratie participative au niveau local) et par en-haut, en posant les conditions de la coopération diplomatique des différentes nations européennes. Il est donc bien question de retrouver en interne le vieux principe fédératif (Proudhon ?), le solidarisme (Léon Bourgeois), l'associationnisme (Louis Blanc ?) et en externe, la coopération et le consensus diplomatique sans l’uniformité.

   Tout reposerait donc sur un principe de subsidiarité bien compris. Comme le souligne à la fin de son ouvrage au style clair, concis et largement référencé, c’est vers l'idée d'Empire, de « confédération des peuples d’Europe» que s'oriente Pierre Le Vigan. Dans la conclusion d'un commentaire judicieux, Bruno Guillard pose les bonnes questions : fédération, empire, confédération, état fédéral ou alliance inter étatique ?... C'est effectivement tout un programme et nous attendons avec impatience l'analyse plus poussée des formes politiques impériales qui éclairerait sa proposition. Pourquoi ? Parce que Pierre Le Vigan est un autodidacte (« personne ne me fascine davantage que les autodidactes » dit Jacques Attali !) de la philosophie et que c'est, comme pour les artistes ou les écrivains, chez eux, qu'on retrouve le plus la créativité des concepts, chère à Deleuze. (...) 

   Pierre Le Vigan, L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Eric Maulin, éditions La Barque d’Or, 15 € (+ 4 € de frais de port), 164 pages, labarquedor@hotmail.fr


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Luc Desle

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