Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.
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jeudi 5 février 2015

"L'Homme qui se fendait la poire fut accusé de cruauté envers un fruit innocent". Jacques Damboise in "Pensées à contre-pet".

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Pensées pour nous-mêmes:

(TA NON-ACTION A-T-ELLE
UN RÉSULTAT?)

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(On comparait souvent Madame D, Maîtresse des élégances,
à son animal fétiche)



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jeanneemard.wordpress.com

« On a fait du PIB le seul critère de l’efficacité
des politiques publiques »


Amélie Mougey

   Interview - Une société prospère n'est pas forcément celle qui produit le plus. Ce crédo anime l'économiste Jean Gadrey, qui plaide pour de nouveaux indicateurs de richesse. La semaine dernière, les députés ont voté en ce sens. Le début d'un basculement ?

   D’un bout à l’autre de la planète, la richesse d’une nation se mesure en trois lettres : « PIB », pour « produit intérieur brut ». Cet indicateur prend en compte la production de biens et de services sur un an à l’échelle d’un pays. Après près d’un demi-siècle à régner en maître, cet outil interroge : une nation n’est-elle riche que de ce qu’elle produit ? A cette question, les députés français ont répondu non. Le 29 janvier dernier, ils étaient une quinzaine dans l’hémicycle à adopter à l’unanimité la proposition de loi « visant la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ». Jean Gadrey, professeur d’économie honoraire et coauteur de l’ouvrage Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, 2004), compte sur l’ensemble des décideurs pour saisir la balle au bond.

   / Terra eco : Est-ce que ce texte marque une réelle avancée ?

   - Jean Gadrey : Sans aucun doute. C’est une très bonne nouvelle. Depuis que ce débat s’est ouvert, il y a une dizaine d’années, les décideurs ne cessent de faire un pas en arrière, un pas en avant. Si cette loi passe au Sénat, le progrès sera réel. Le gouvernement aura l’obligation de présenter chaque année devant le parlement un rapport sur l’évolution des nouveaux indicateurs de richesse. L’élaboration des politiques ne se focalisera plus sur leur impact économique, mais prendra en compte les inégalités, la qualité de vie et le développement durable. Lorsque, comme chaque année, la loi de finances sera discutée, les députés seront invités à regarder aussi l’impact de ces arbitrages sur l’environnement, leurs conséquences en matière de pauvreté, d’exclusion, de mal-logement. Avec la prise en compte de ces critères dans le débat politique, on voit se concrétiser ce pour quoi nous nous battons depuis quinze ans.

   / Justement, pourquoi se battre pour ces indicateurs ?

   - Parce qu’ils sont indispensables ! Poursuivre des politiques publiques avec pour seule référence la croissance et le PIB, c’est comme rester sur le Titanic munis d’une boussole qui pointe vers l’iceberg. On a besoin de changer de repères pour éviter la catastrophe. La trajectoire actuelle n’apporte plus rien aux gens en termes de bien-être, de réduction des inégalités… Or, la vocation des pouvoirs publics, c’est bien d’améliorer la vie de la population dans son ensemble. Deux préoccupations sont à l’origine de notre critique du PIB : le creusement des inégalités et la gravité de la crise écologique. Les deux sont liés : si l’on ne prend pas en compte l’état des inégalités sociales, la transition écologique n’aboutira pas. A l’inverse, la crise écologique risque, elle-même, de renforcer ces inégalités : si l’on souhaite que tout le monde accède à terme à une alimentation saine issue de l’agriculture bio, il faut que tout le monde en ait les moyens, de même pour le logement, la mobilité, etc. Tout est lié, et c’est pourquoi élaborer les politiques publiques avec un seul indicateur est forcément erroné.

   / Le PIB est-il, en soi, un mauvais indicateur ? 

   - Pas du tout. C’est un bon indicateur économique, l’un des plus pertinents pour évaluer le niveau de production d’un Etat. Le PIB dans son domaine de compétence, personne n’a envie de le jeter. Mais son utilisation exclusive pose problème. On en a fait le seul et unique critère de l’efficacité des politiques publiques. Or, une société qui fonctionne bien n’est pas uniquement celle qui produit le plus. Il nous faudrait évaluer les politiques en se basant sur trois piliers : social, environnemental et économique. En l’état actuel, ce troisième pilier est immense, tandis que les deux autres sont petits. Cela ne vient pas de nulle part. Longtemps, on a entretenu l’idée que la bonne santé économique d’un pays entraînait tout le reste. C’est un mythe. Les inégalités ont commencé à se creuser alors que la croissance était toujours au rendez-vous. Chaque jour, des exemples prouvent que les objectifs sociaux, économiques et environnementaux peuvent entrer en contradiction. La relance de certaines industries a beau être profitable sur le plan économique, elle peut être désastreuse sur le plan de l’environnement.

   / Cette loi est-elle à la hauteur de l’enjeu ?

   - Le texte est bon, mais le diable se cache dans les détails. Tout va se jouer au moment de la mise en œuvre. A quel point le gouvernement va-t-il se montrer déterminé à évaluer ses propres politiques, présentes et passées, à la lumière de ces nouveaux critères ? A quel point les parlementaires vont-ils demander des comptes au gouvernement ? Il faut que ces indicateurs soient utilisés comme guides et non comme simple affichage. Les décideurs doivent adopter un nouveau cadre de pensée. La démarche se heurtera très certainement à des partisans du statu quo. La plupart des gouvernants en poste aujourd’hui partagent la même croyance dans les vertus de la croissance. Leur cadre de réflexion s’est solidifié pendant des décennies. La crise a certes accéléré la transformation de leur mode de pensée, mais il faudra encore des années pour changer de paradigme.

   / Connaît-on déjà des indicateurs qui viendront compléter le PIB ?

   - Nous n’en sommes pas encore là. Les parlementaires n’ont pas voulu débattre de quels indicateurs l’emporteront. Mais les travaux sur lesquels ils pourront s’appuyer sont déjà bien avancés. Des indicateurs complémentaires existent depuis des décennies. On a l’IDH, l’indicateur de développement humain, mis en place par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), ou encore l’indice de santé sociale, créé dans les années 1990. Le rapport Stiglitz, présenté en 2009, a également fait avancer la réflexion. Tout le défi aujourd’hui, c’est que l’élaboration et le choix de ces critères ne se fasse pas entre experts. La société civile doit être impliquée. Pour que ces critères parlent au plus grand nombre, il faudrait choisir des indicateurs synthétiques, comme la santé sociale ou l’empreinte écologique. Ceux-ci agrègent tout un faisceau de petits indicateurs et sont donc très lisibles. Il faudrait choisir à la fois ces indicateurs synthétiques et des tableaux de bord plus précis. Dans tous les cas, il faudrait veiller, par souci de clarté, à ce qu’on retienne un nombre d’indicateurs limité – entre 5 et 15 me paraît raisonnable – pour que le système ne devienne pas une usine à gaz.

   / Doit-on changer de boussole uniquement pour l’élaboration des politiques publiques ? Les entreprises ne devraient-elles pas adopter la même démarche ?

   - En un sens, l’émergence de la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, s’inscrit déjà dans cette démarche. Les acteurs économiques adoptent des critères, des codes de conduite qui vont guider leur activité et ne sont pas purement économiques. Mais pour l’heure, cette initiative repose uniquement sur leur bonne volonté. On peut imaginer, à l’avenir, des indicateurs harmonisés qui pourraient leur servir de guides. Du côté des acteurs économiques, la réflexion en est à ses prémices, à l’étape à laquelle se trouvaient les pouvoirs publics il y a dix ou quinze ans. Mais tant qu’on observe des avancées, on reste confiants.


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Benoît Barvin

mardi 10 juin 2014

"Ses ailes étant trop grandes pour marcher, il les rogna sacrément". Benoît Barvin in "Pensées pensées".

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Pensées pour nous-mêmes:

(LE SAGE N'EST QU'UNE
PART DU TOUT)

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(Cette femme voilée s'était trompée quelque part)


(Source : boss90, via delirious-perception)

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(Mon PIB me convient)



(Parce que certaines analyses
méritent d'être relues)

L’APPORT DE L’ANALYSE D’ALAIN LIPIETZ 
AU DÉBAT SUR LES NOUVEAUX 
INDICATEURS DE RICHESSE.

(Jérôme Bonnet pour Télérama)

   A l’occasion de la semaine du développement durable, une conférence d’Alain Lipietz était organisée hier, 3 avril 2013, à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV. Alain Lipietz est un écologiste convaincu, élu au parlement européen, mais c’est avant tout un économiste, ancien directeur de recherche au CNRS, ingénieur des Ponts-et-Chaussés, auteur dès 1974 du « tribut foncier urbain ». L’économiste, habilement épaulé de la gouaille du politique, nous a offert une prestation intéressante sur le fond, très vivante sur la forme, proposant même un socle d’arguments à la nécessaire construction de nouveaux indicateurs. Morceaux choisis. (...)

    La conférence s’ouvre sur l’analyse des deux crises économiques vécues par notre locuteur (1930, et l’actuelle, initiée en 2008). Alain Lipietz nous explique que si la première a pu se résoudre par une relance de la demande (forte augmentation des salaires pour les cas français et américains notamment), cette même solution se heurte aujourd’hui à deux problèmes majeurs :

   Au sein du « village global », les négociations ne sont plus nationales. Les salariés « mal payés », ceux qui devraient en priorité voir leur pouvoir d’achat augmenter sont aujourd’hui chinois. Quid d’un New Deal avec les autorités chinoises ?

   Pire, selon les dires d’Alain Lipietz, une croissance exponentielle de la consommation au sein de l’énorme marché que constituent la Chine et ses voisins asiatiques aurait des conséquences catastrophiques (apocalyptiques?) sur l’environnement (en cause : la pollution liée aux productions industrielle et agricole, avec une augmentation des consommations énergétiques et de la viande, entre autres). Flotte alors le présage de Gandhi en 1928 :

   « Dieu fasse que l’Inde ne s’industrialise jamais sur le modèle occidental. L’impérialisme économique d’un seul et minuscule royaume insulaire (l’Angleterre) tient actuellement le monde dans ses chaînes. Si une nation comptant 300 millions d’habitants se lançait dans pareille exploitation économique, le monde serait ravagé comme par une invasion de criquets » [1].

    Comment peut-on penser la sortie de crise économique, crise mondiale, sans prendre ce dernier phénomène en compte ? La « reprise » ne peut se résumer au retour de la croissance du PIB. Des indicateurs de durabilité de la croissance et du développement sont en ce sens urgemment nécessaires. (...)

  (...)   Ceci est d’autant plus vrai que la prise en compte des impacts environnementaux des activités économiques serait… créatrice nette d’emplois. Pourquoi ? Car les économies d’énergie créent plus d’emplois que les filières fossile et nucléaire ; c’est vrai aussi bien pour les transports en commun en substitution à la voiture individuelle que pour l’isolation des bâtiments au détriment de la construction de nouvelles tours. Les chiffres diffèrent selon les études et les pays mais l’effet positif domine clairement. En France, une diminution de 30% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 pourrait donner lieu à une création nette de 684 000 emplois en France [2]. 

    Inciter à la transition vers un modèle plus économe en énergie, c’est aussi montrer le chemin de la réduction du chômage, première marche d’une reprise économique. Seulement, si l’on recherche à tout prix la croissance immédiate du PIB, l’on n’est pas incité à s’engager dans cette transition. Se référer à la seule croissance du PIB pousse donc à la déraison… (...)

   (...)  Mais pourquoi les décideurs politiques sont-ils donc obnubilés par le Saint-Graal PIB ? Parce qu’ils concourent tous à la même course déraisonnable. Alain Lipietz nous embarque alors dans l’univers de Nicholas Ray, évoquant la scène incroyable du film tout autant culte. La fureur de vivre, durant laquelle deux « pilotes » s’affrontent, lançant leurs bolides automobiles à toute vitesse vers un ravin ; le dernier sautant de la voiture étant le gagnant. Mais voilà, à ne pas vouloir perdre, on finit par mourir. Pendant que celui qui a sauté le premier est vivant. Et s’il avait réagi suffisamment tôt, le second aurait bondi tout de go et n’agoniserait pas au fond du ravin. 

    Le problème avec le PIB est donc qu’il est la référence pour tous, et qu’il faut un premier candidat au saut, puis un deuxième, pour que la référence change. Changement de références, changement de modèle énergétique, repenser le modèle de production, la course à toute sorte de consommation … qui osera ? Lorsque l’on sait que le premier, le précurseur, se procure généralement un avantage inaltérable [3], on piétine d’impatience (ou d’agacement). En effet, il s’agit aujourd’hui de se préparer à être le leader des technologies de demain. 

   Encore une fois, les indicateurs ont ici un rôle à jouer : pourquoi blâmer l’endettement, et plus généralement, les dépenses publiques, s’ils servent à financer la transition? Comment des dépenses de santé curatives peuvent-elles améliorer le PIB pendant que les préventives le détériorent ? Bref, comment est-ce possible que l’indicateur de référence nous mène droit dans le ravin ? (...)

   (...) Enfin, réagissant à un étudiant qui lui demandait dans quelle mesure les chinois, et, plus généralement, les habitants des Pays en Développement pourraient atteindre le même niveau de vie d’un européen, Alain Lipietz soulève un important problème des indicateurs, ou plus précisément, de ce qu’ils veulent mesurer : qu’est ce que le niveau de vie ? Effectivement, quel est le but à atteindre ? Le même PIB/habitant ? Une amélioration de l’IDH ? Le problème évoqué ici est celui de l’universalité de l’indicateur, qui plus est synthétique. Peut-on résumer le but d’une société par un chiffre ? Non. Les citoyens du village global ont-ils tous le même objectif, la même perception du niveau de vie, la même définition du bonheur ? Non. 

   Le PIB doit être, et de toute urgence, dépassé, pour un indicateur déclinable, adaptable aux différences culturelles et de niveau de développement et qui permettrait d’évaluer une croissance durable permettant l’amélioration des conditions de vie de chaque acteur de la société, au sens où il l’entend.

[1] Young India, 20 December 1928
[3] Du fait des économies externes qui se créent alors.


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(Applaudi par l'oiseau-lyre, le poète ne se sentait plus)

(via mary-happy-one)

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Luc Desle

samedi 21 décembre 2013

"A force de raboter les mêmes idées il devint menuisier". Benoît Barvin in "Pensées pensées".

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Pensées pour nous-mêmes:

(LES MANUELS DE SAGESSE
SONT-ILS SAGES?)

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(La Princesse aux yeux de braise
voulait devenir hypnotiseuse)


Charles Allen Winter
(Source: valentinovamp, via issafly)

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"La reprise... hic! est là... hic!
Vive la... hic! crise..."




La grande récession, 
la reprise invisible et la crise silencieuse

Laurent Eloi

   (...) S’il y a bien un moment de l’histoire récente où l’insuffisance de nos indicateurs de réussite économique et de progrès social éclate au grand jour, c’est la « reprise invisible » que vivent les citoyens en Europe et aux Etats-Unis.

   Le fossé entre les décideurs politiques et leurs électeurs sur l’état réel de l’économie est tellement béant qu’il semble désormais y avoir deux univers parallèles : l’un, où la « grande » récession de 2009 a cédé le pas à une reprise économique solide et partagée dont chacun devrait se réjouir ; l’autre, où la reprise en question est si partielle, fragile et inégalitaire qu’elle mérite le qualificatif non seulement de « petite » mais d’invisible.

   La chronique de la « reprise invisible » diffère pour l’Union européenne et les Etats-Unis. Aux Etats-Unis, la production (mesurée par le PIB), qui a fortement chuté au cours de la « grande » récession, a commencé à se rétablir plus tôt et plus intensément et a reconquis à la mi-2011 le terrain perdu en 2008 et surtout en 2009. Mais le revenu moyen des ménages n’a pas suivi la tendance, loin s’en faut, et la capture des revenus par les plus riches du fait du régime actuel des inégalités laisse l’immense majorité des Américains avec guère plus que des miettes de reprise. Pourtant, les dirigeants politiques de toutes obédiences – principalement démocrates il est vrai – vont répétant que la crise économique appartient au passé. C’est loin d’être le cas, quand on en prend la juste mesure.

   En Europe (et en particulier dans la zone euro), la production a été plus longue à se redresser pour replonger dans le rouge en 2011 sous l’effet de l’erreur stratégique des politiques d’austérité budgétaire. Le PIB vient à peine de reprendre sa croissance. Mais cela n’empêche nullement les dirigeants européens et nationaux de prétendre que le pire est à présent derrière nous, au moment même où le chômage et la précarité sociale atteignent un pic historique et continuent leur inexorable progression dans la plupart des pays du continent.

   Cet écart entre le discours politique et l’expérience quotidienne des citoyens est un poison pour la démocratie de part et d’autre de l’Atlantique. Il cristallise une incompréhension et une méfiance grandissantes entre les électeurs et leurs élus au sujet de la réalité économique et sociale. Il reflète un désaccord sur les faits, pas sur les opinions ou les convictions, désaccord qui ne peut être résolu par l’échange patient d’arguments raisonnables entre gens de bonne volonté. Il suggère qu’au delà même des très réelles stagnation économique et régression sociale que connaissent actuellement l’Europe et les Etats-Unis, c’est une crise démocratique silencieuse qui est en cours, dont les spasmes populistes ne forment que la surface. Les citoyens et les politiques ne parlent tout simplement plus la même langue.

   Les nouveaux indicateurs de bien-être et de soutenabilité, qui visent à aller « au delà du PIB » (c’est-à-dire au delà des indicateurs, des modèles et des analyses économiques standards), sont parfois perçus ou caricaturés comme d’amusants gadgets. Ils sont bien plus que cela. La mesure précise et pertinente du bien-être et de la soutenabilité (c’est-à-dire du bien-être dynamique) est une dimension essentielle du débat public en démocratie. Ce qui n’est pas compté non seulement ne compte pas, mais devient invisible pour tout un chacun. Mais que nous ne percevions pas ou ne comprenions pas les évolutions sociales en cours ne signifie pas qu’elles ne se produisent pas ou qu’elles n’auront pas de conséquences lourdes.

   Inversement, mesurer, c’est en partie gouverner, une autre façon de dire que les indicateurs déterminent les politiques. Si le but collectif, le seul bien commun de la société américaine devait devenir l’augmentation exponentielle de l’indice Dow Jones, les politiques publiques ne viseraient plus que cet objectif, indépendamment de leurs dommages collatéraux sociaux ou environnementaux. Dans la même veine, si les pouvoirs publics en Europe ne devaient plus prêter attention qu’aux profits de l’industrie bancaire, ils consacreraient l’intégralité de leurs ressources à cette fin (ces deux futurs indésirables ne sont hélas que trop réels). En d’autres termes, le PIB aujourd’hui n’est pas seulement un horizon trompeur : c’est une boussole faussée qui désoriente la politique et affaiblit la démocratie.

   Il est donc urgent d’introduire dans le débat public, par exemple au moment de l’examen du budget, des indicateurs de répartition du revenu et d’inégalités (notamment territoriales) en complément des indicateurs macroéconomiques dont dispose la représentation nationale en France et aux Etats-Unis, afin que les politiques et les citoyens retrouvent un langage commun. Mais il ne s’agirait que de la première étape. L’étape suivante consiste à prendre la pleine mesure de l’horizon de long terme de la démocratie, qui est la répartition équitable du capital entre les générations et au sein de chacune d’entre elles, le capital du siècle qui s’ouvre étant social, naturel, humain autant que physique.

   La crise économique, qui dure encore n’en doutons pas, ne pourra prendre fin que lorsqu’on en prendra la juste mesure. L’alternative pour les responsables politiques consiste à poursuivre leur dialogue de sourd avec leurs électeurs au sujet des réalités économiques, sociales et écologiques, jusqu’au point où ces derniers cesseront de les écouter. (...)


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"My greatest ambition would have been
 to kiss you, darling..."


Jean Seberg et Jean-Pierre Melville


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