Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

samedi 22 juin 2013

"Le tueur de doutes hésita". Benoît Barvin in "Pensées pensées".

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Pensées par nous-mêmes:

(FAIS EN SORTE D’ÊTRE TOI, PLEINEMENT,
A CHAQUE INSTANT)

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LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/45)
pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

 Elaine a prétendu qu'elle voulait devenir novice. C'est une ruse pour mieux enquêter au couvent où elle soupçonne toujours la Mère Supérieure de s'adonner à quelques pratiques douteuses... 
ANGÉLUS 
ou
LES SECRETS DE L’IMPALPABLE


Indien Tapuia du Brésil - Albert Eckhout -


CHAPITRE 17

   La traversée en bateau, en direction des Amériques, fut une épreuve pour Angélus. Sa peau lui causait mille douleurs et lui donnait un aspect répugnant. Aussi dut-il s’isoler des autres passagers pour ne pas les heurter. Fort heureusement, lors de ces voyages aux destinations lointaines, des festivités étaient organisées tous les soirs, parmi lesquelles des bals masqués qui faisaient l’unanimité. Angélus put ainsi dissimuler ses excoriations derrière des loups de soie noire, et participer à ces mondanités qui eurent comme avantage de lui faire connaître un botaniste et un ethnologue décidés à explorer les contrées encore vierges de l’Amazonie. 

   Il vérifia en leur compagnie la justesse des écrits qu’il avait pu lire sur la flore équatoriale et se dit qu’il trouverait certainement, au fin fond de la Guyane, les herbes appropriées pour soigner son cas où se mêlaient, il en était certain, quelques éléments non rationnels dont ces plantes et la sorcellerie locale sauraient venir à bout. Il avait l’intuition que l’« aspérula digitex », décrite par Latour dans son manuel des plantes amérindiennes, pouvait contenir le suc capable de fournir, une fois mêlé à un autre suc révélateur, l’antidote à son mal. C’était ce révélateur qu’il cherchait et trouverait, dût-il y passer des années.



   Angélus y passa des années. Des années où il faillit perdre la vie, tant les conditions climatiques furent déplorables pour son état épidermique. Le climat de la jungle, avec ses moiteurs chargées de parasites, eut tôt fait de transformer son corps en un vaste champ de culture. Cependant l’organisme était solide, et la volonté plus encore, de sorte qu’il ne fut pas sujet à ces fièvres qui déciment ou à ces empoisonnements des humeurs qui vous font perdre toute la raison en quelques jours. Il sombra malgré tout, en se voyant aussi atteint dans son incarnation, dans un état de folie légère qui eut comme avantage d’anesthésier les douleurs dont il était sujet et de ne pas lui faire perdre l’espoir de venir à bout de son projet.

   C’est dans cet état d’esprit, focalisé sur son objectif, et au bout d’un an de pérégrinations, qu’il fit la connaissance d’une petite peuplade qui vivait au bord du rio Tacutu. Son guide et son porteur la lui avaient décrite comme pacifique, et le botaniste rencontré sur le bateau avait pointé, entre autre, cette région, comme étant très riche en plantes vénéneuses. Angélus décida donc de s’installer dans ce village de cases et il n’eut pas de mal à se faire accepter par les indigènes tellement son apparence physique était proche de la leur. Son teint avait viré au brun cuivré sous l’effet des lotions de tanin dont il s’était badigeonné, et sa peau était comme scarifiée par les cicatrices. En cela, il ne se démarquait pas de ces hôtes qui portaient sur le visage et le buste maintes scarifications dont la facture cependant révélait un savoir-faire et un sens de l’harmonie que celles d’Angélus étaient loin de posséder.

   Des mois, des années passèrent pendant lesquels il n’eut de cesse de trouver sa formule salvatrice. La famille du chef lui était toute dévouée depuis qu’il avait guéri le fils d’une mauvaise blessure de chasse. Il était considéré comme le second sorcier du village, et le premier qui était déjà vieux n’en prit pas ombrage. Au contraire, il lui communiqua une bonne partie de son savoir, savoir auquel Angélus mêla le sien et dont il n’eut plus tard, aucun scrupule à abuser, une fois de retour en France.

   Avant cela, il transita par les Etats Unis où il continua ses recherches.

   Enfin, il trouva !

***

   Je le détiens enfin ce procédé par lequel j’ai pu retrouver apparence humaine, de façon durable, en ayant la certitude que les mois d’août à venir ne détruiront plus jamais le bel ouvrage. Je ne sais pas quel sortilège les Fontserannais m’avaient envoyé. Mais à force de persévérance et de tâtonnements, j’ai su rompre leur mauvais sort. Tout comme j’ai su tuer ce parasite qui infestait mes créations. Maintenant je suis passé maître en la matière. Je peux tout recréer, tout modeler à ma guise. Je maîtrise parfaitement la vie et la multiplication cellulaire. J’égale l’illustre Stevenson pour ce qui est des formules chimiques de toutes les plantes amérindiennes qui me sont si précieuses et dont les extraits me seront envoyés régulièrement en France.

   Pendant mon séjour dans la jungle, j’avais pu devenir l’égal du grand sorcier et sans faire preuve de vantardise, je peux même affirmer que j’étais plus efficace que lui, plus intuitif. Cependant, avec mon teint à nouveau lisse et doré, j’étais devenu suspect parmi tous ces hommes à la peau noire scarifiée. Il était temps que je parte. D’ailleurs, qu’avais-je d’autre à apprendre d’eux ?

   J’ai le sens de mon art dans la peau. Et pourtant, je n’exploite que la moitié de mes capacités. Tout cela par la faute de mes ennemis d’enfance. Il m’arrive souvent de me dire que mon esprit de vengeance me détruit et me fait perdre ma vie, mais je ne peux me raisonner. Je brûle de retrouver les sensations de ma tendre jeunesse et d’en faire une oeuvre d’art. Je rêve de transfigurer le soyeux d’un pétale de lys, de le traduire en textures nouvelles. Et pour y parvenir, j’ai besoin de toutes mes cellules tactiles. Pourrai-je un jour re-goûter l’extase du vrai toucher ? 

   Pour cela, et bien que je m’en sois longtemps défendu, il me faut revenir là où je l’ai perdu, car c’est là-bas qu’il survit et m’attend. 

***
(A Suivre)

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"Qui veut du chocolat suisse...
avec de bons morceaux de démocratie dedans?"


Une bonne cure de Suisse pour l’Europe
Lars Feld
Michael Wohlgemuth |

   (...) Un appel à "plus de Suisse" résonne jusqu’aux confins de la gauche. C’est tout nouveau, c’est original. A l’origine de ce nouvel engouement berlino-bruxellois pour la Confédération helvétique, le référendum suisse sur l’"initiative Minder" – une initiative populaire contre les rémunérations abusives dont l’instigateur se nomme Thomas Minder, patron d’une entreprise familiale suisse et conseiller aux Etats sans étiquette.

   Nous ne jugerons pas ici du fond de cette dernière initiative populaire en date : dans la mesure où elle permet aux actionnaires de décider directement de la rémunération de leurs dirigeants, il s’agit d’une mesure rectificative pertinente pour rétablir le lien entre propriété et contrôle [au sein de l’entreprise].

   La même question d’ordre structurel se pose concernant les rapports entre les citoyens et les responsables politiques. Dans une démocratie, les élus sont censés agir au nom du peuple. Le citoyen est roi. En pratique, il en va comme pour le petit porteur face à la grande société de capitaux : il est ingrat et difficile pour l’électeur d’avoir prise sur les activités multidimensionnelles de ses représentants au gouvernement et au Parlement.

   Deux questions de fond se posent : quels effets la démocratie directe a-t-elle en Suisse, de manière générale ? Et les méthodes de démocratie directe (le référendum et les initiatives populaires) doivent-elles être recommandées aux autres pays d’Europe – notamment sur les questions de politique européenne ? (...)

   (...) Nulle part la démocratie directe n’est aussi développée qu’en Suisse. Même chose pour le "fédéralisme financier", lequel se caractérise, dans sa version helvétique, par une autonomie relativement étendue des cantons et des communes. En Suisse, des référendums financiers obligatoires ou facultatifs sont organisés plusieurs fois par an au niveau local. Les initiatives populaires permettent aux citoyens d’encourager ou de révoquer à leur guise des décisions politiques. Et tout transfert de souveraineté à un échelon supérieur doit avoir l’aval direct du peuple.

   Les résultats sont assez éloquents : les collectivités territoriales sont moins dépensières dès lors que les citoyens peuvent décider eux-mêmes de l’utilisation de leurs propres deniers. Leur parcimonie a pour effet d’alléger la pression fiscale. Et la dette recule également, grâce à des référendums financiers qui permettent aux citoyens de présider eux-mêmes à la gestion des fonds publics à la place des gouvernements.

   La "solidarité" ne passe pas à la trappe pour autant. Si les cantons pratiquant la démocratie directe redistribuent globalement moins, cela ne signifie en aucun cas que le niveau de redistribution est insuffisant pour les pauvres. L’inégalité sociale n’est pas plus forte dans les cantons qui pratiquent la démocratie directe. Tout porte à croire, au contraire, que les transferts sociaux y sont plus ciblés.

   Tout cela entraîne un accroissement de la productivité économique grâce à des prestations publiques de meilleure qualité et à une politique financière plus saine que dans les démocraties uniquement représentatives.

   Felix Helvetia ! L’opinion publique limite la dette tout en promouvant le respect des obligations fiscales, l’efficacité et la subsidiarité : n’est-ce pas là précisément ce dont toute l’Europe a aujourd’hui besoin ? (...)

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(Esprit au repos en attendant de se reconfronter
à la folie du monde)

Winged Figure, Abbott Handerson Thayer


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"Tu veux être payé pour de la création?
Tu t'fous d'moi, c'est ça?!"

C'est arrivé près de chez vous

Le film noir des ouvriers du cinéma
Guillaume Goutte

   Quand on parle cinéma, comme quand on parle littérature, on a souvent tendance à oublier que, à l’instar de toute industrie, il y a derrière ces productions dites culturelles des travailleurs qui, comme partout, sont soumis à des rapports d’exploitation et de domination. La dernière édition du célèbre Festival de Cannes a décerné sa Palme d’or au réalisateur Abdellatif Kechiche pour son film "La Vie d’Adèle". Encensés de toute part par la presse, la télé, les critiques et autres experts ès bons goûts, le cinéaste et ses deux actrices – Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos – étaient, dimanche 26 mai, sur un petit nuage. 

   Il en était en revanche tout autrement pour les techniciens qui, pendant plus de cinq mois, ont bossé sur ce film, comme l’a révélé jeudi 23 mai le Syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (Spiac-CGT), qui a publié sur son site Internet un communiqué dénonçant les conditions très difficiles dans lesquelles a été tourné le film primé. Le syndicat a d’ailleurs été rejoint par l’Association des techniciens et ouvriers du cinéma et de l’audiovisuel du Nord-Pas-de-Calais (Atocan), laquelle a tenu à préciser que, « si ce long-métrage devait devenir une référence artistique, nous espérons qu’il ne devienne jamais un exemple en termes de production ». Retour sur une exploitation…(...) 

   Outre les embauches de figurants « à l’arrache, au coin d’une rue » (Le Monde, édition Internet du 24 mai 2013), outre une armée de stagiaires (les travailleurs expérimentés auraient été jugés « trop formatés » – plutôt trop chers ?), plusieurs journées de boulot ont été « oubliées » lorsqu’il s’est agi de payer les techniciensD’autres journées ont été payées sur la base d’un huit heures alors qu’elles s’étaient étalées sur plus de… seize ! Poussant le cynisme jusqu’au bout, du bénévolat aurait même été proposé, au motif que le simple fait de bosser pour un réalisateur aussi fameux était un salaire ô combien suffisant ! (...)

   Un salarié a également affirmé que, en dehors de ces entorses au droit, il y a également « eu du mépris pour les conditions de travail, pour le repos de l’équipe, et sa vie privée » et a confirmé, avec consternation, qu’il « n’avai[t] jamais vu ça ». Le communiqué du Spiac-CGT abonde en ce sens, précisant que certains techniciens ont abandonné « en cours de route, soit parce qu’ils étaient exténués, soit qu’ils étaient poussés à bout par la production, ou usés moralement par des comportements qui, dans d’autres secteurs d’activités, relèveraient sans ambiguïté du harcèlement moral ». (...) 

   « Les gens ne savaient pas le vendredi soir s’ils allaient travailler ou non le samedi et le dimanche dénoncent des changements de planning brutaux au dernier moment. Certains, alors qu’ils étaient en jour de repos ou en pleine nuit, ont même reçu des SMS ou des mails leur annonçant que leur présence était requise… Enfin, le syndicat affirme également qu’il y aurait eu « des incitations à faire des trajets automobiles dans des délais tels que les personnes en charge de ce travail devaient rouler à plus de 180 km/h ». (...) 

   Cette dénonciation sans appel n’intervient pas non plus dans n’importe quel contexte et s’inscrit pleinement dans la lutte que mène la CGT pour une convention collective étendue du cinéma. Ratifiée en janvier 2012 par nombre de syndicats de salariés, dont le Spiac-CGT, elle est, pour l’heure, rejetée par beaucoup de syndicats de producteurs. C’est que le texte exige une réglementation pour le montant des minima sociaux, le paiement des heures supplémentaires et du travail de nuit et du dimanche, ce qui, pour les producteurs, rendrait impossible la réalisation de nombreux films… Autrement dit : producteurs et réalisateurs doivent pouvoir s’asseoir sur le Code du travail au nom d’une créativité qui sonne surtout « rentabilité ».

   Ce traitement des techniciens et des ouvriers de l’industrie du cinoche n’est pas sans rappeler celui des petites mains du secteur de l’édition, et notamment des correcteurs : salaires ridicules (parfois en dessous du smic), contournement du salariat par des statuts désavantageux, cadences infernales, travail déguisé sous forme de tests rémunérés, etc. À lire les réactions sur le Net suite au grand déballage du Spiac-CGT, on comprend pourquoi les travailleurs de ces industries peinent tant à faire reconnaître leurs droits : aux yeux de beaucoup, les traitements les plus indécents sont légitimes lorsqu’il s’agit de la sacro-sainte culture.
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Luc Desle

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