Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

lundi 2 juin 2014

"Pour souffrir plus commodément, ce masochiste mettait des ongles sur les pointes de bambous glissées dans ses doigts". Jacques Damboise in "Pensées à contre-pet".

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Pensées pour nous-mêmes:

(SENS-TU CE FRÉMISSEMENT D'AMOUR?)

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(La Femme-mouche venait de mettre

au monde un petit bébé,
aux ailes encore frémissantes)



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(Jeanne entendit des voix étrangères

lui ordonner de bouter le 
libéralisme hors de la planète)


merveilleuse-vie-jeanne-d-arc

Amis, l’entendez-vous ?

Olga Rodriguez

(El Diario)
Traduit de l’espagnol par Irisinda

   (...) Ces dernières années un coup d’état silencieux, idéologique et économique a eu lieu faisant les délices d’un pouvoir financier insatiable. Il nous faut donc montrer du doigt les responsables, et demander la coopération, comme le fit Cortazar depuis l’exil, en criant « ami, l’entends-tu ? »

   Dans un article publié en 1975, Julio Cortazar évoquait Caton le vieux et son exigence qui terminait tous ses discours au Sénat Romain pendant les dernières années des Guerres Puniques par Delenda est Cartago (Carthage doit être détruite), pour réclamer l’invasion de Carthage. Avec cet exemple, Cortazar revendiquait une insistance similaire contre le dictateur chilien Augusto Pinochet.

   « Je suis éveillé à ce qui m’entoure et pour cela, une fois de plus, Delenda est Pinochet. (…). Un écrivain latino-américain a l’obligation d’être Caton, et de répéter jusqu’à n’en plus pouvoir : Delenda est Pinochet ». C’étaient des temps de répression et d’infamie au Chili, mais les grands secteurs, satisfaits des mesures économiques néolibérales mises en place par le dictateur, regardaient de l’autre côté.

   A la même époque, l’Argentine vivait aussi des jours de terreur, mais cela n’a pas importé à l’heure de célébrer le Mondial de football sur le sol Argentin en 1978. Dans les pays latino-américains, les vols de la mort, les décharges électriques, les vols d’enfants, les tortures, les assassinats et les disparitions se mélangèrent avec les festivités dans le stade de football avec des bravos et des goals.

   Une grande partie des pays occidentaux regardèrent aussi de l’autre côté sans que leur importent l’horreur et les violations systématiques des droits de l’homme qui étaient commises dans ces pays. Par leur participation au Mondial, ils légitimèrent la dictature Argentine, bien plus de ce que certains (les Etats-Unis en tête) l’avaient fait jusqu’alors. Plusieurs exilés argentins installés en France organisèrent une campagne de prise de conscience, sous le titre « ami l’entends-tu ? », que Cortazar avait propagé dans ses articles.

    Je reviens au présent. En Espagne il y a de familles dont tous les membres sont au chômage de longue durée et n’ont pas un seul euro de revenu, aucune aide ni pension. Il y a des foyers menacés d’expulsion, et des gens (beaucoup) qui ont déjà dû quitter leurs maisons, dépossédés de leur droit à un logement digne. En même temps on paie avec l’argent public la dette des banques et le gouvernement trouve que construire au roi un pavillon de chasse de 3,4 millions d’euros est « d’intérêt général ».

    Il y a des hommes politiques et des hommes d’affaires qui ont des comptes dans des paradis fiscaux pour échapper aux impôts, pendant que les gens paient les leurs et que la TVA et l’impôt sur le revenu augmentent. Il y a des logements avec des frigidaires vides, où les familles se couchent en même temps que le soleil pour pouvoir payer le chauffage à la fin du mois. En même temps, le gouvernement va dépenser 4 millions d’euros pour faire la publicité du nouveau mode de facturation de l’électricité. En toute logique.

   Les pensions baisseront de trois points de pouvoir d’achat, c’est à dire 3 milliards d’euros approximativement jusqu’en 2017. Les salaires sont gelés, on fait des coupes dans les services et les aides publics, on privatise les entreprises et les hôpitaux publics construits avec l’argent de tous, la pauvreté et l’inégalité augmentent.

   On licencie des gens pour en embaucher d’autres à moindre frais, on exproprie des terrasses pour installer des antennes téléphoniques mais on interdit l’expropriation des maisons appartenant aux banques pour les donner au gens qui n’ont pas de toit, on vend aux fonds vautours les logements sociaux, on socialise les pertes et on privatise les gains.

   Les lobbys nous gouvernent sans se présenter aux élections et donnent des tapes dans le dos de Rajoy parce qu’il a si bien accompli ses devoirs, « et qu’il fait tout si bien », comme l’a dit Botin. Alors que le chômage des jeunes est de 56 % et que des milliers de jeunes préparés, formés, décidés, sont obligés à émigrer ou à revenir vivre chez leurs parents.

   Ces dernières années un coup d’état silencieux, idéologique et économique a eu lieu faisant les délices d’un pouvoir financier insatiable qui, si on ne le freine pas, sera capable de phagocyter tout ce qu’il trouve sur son chemin. Pour cela même, nous devons signaler les responsables de ce saccage. Il faut les photographier et expliquer les bénéfices qu’ils font en dépossédant les gens de leurs droits.

   L’heure est venue de crier bien fort : « amis, les entendez-vous ». Entendez-vous les mères qui ne peuvent pas subvenir aux besoins de leurs enfants ? Entendez-vous les couples condamnés à vivre sous le même toit bien qu’ils ne le veulent plus, parce qu’ils ne peuvent pas faire face aux frais d’une séparation ? Entendez-vous les personnes expulsées de leurs maisons et celles menacées de l’être ? Entendez-vous ces chômeurs de longue durée à qui le système n’offre rien d’autre que de l’humiliation ?

   Entendez-vous ceux qui travaillent au moins 10 heures par jour et ne gagnent même pas 800 euros par mois ? Entendez-vous pendant ce temps la nuée d’argent accumulé dans les valises des grandes fortunes ? Entendez-vous l’inégalité des opportunités? Entendez-vous les avantages des plus riches pour payer moins d’impôts ? Entendez-vous les mensonges que l’on nous débite ? L’entendez-vous, amis ? Ou préférez-vous continuer à l’ignorer ?

   L’heure est venue du Delenda est que criait Cortazar depuis son exil. L’inégalité et la pauvreté ne sont pas des catastrophes naturelles qui tombent du ciel par châtiment divin. Derrière elles il y a des responsables et ils doivent être signalés dans les urnes et dans la rue, par la protestation, la dénonciation, et par le vote. L’heure est venue de dire, face à eux, Delenda est cette grande exaction. Delenda est. Ça suffit comme ça. Ça suffit.


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(Cette nouvelle mode des hommes voilés
n'eut aucun succès)


Italian Monk Wearing a Funeral Mask 1892

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Luc Desle

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