Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

mercredi 29 août 2012

"Cette oie se fit entièrement plumer par cet écrivain à l'ancienne, qui avait beaucoup de choses à dire...". Jacques Damboise in "Pensées à petit-pet".


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Pensées pour nous-mêmes:

(TON RIRE, ENFANT,
NE L'OUBLIE JAMAIS)

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COURTS RÉCITS AU LONG COURS(39)
pcc Benoît Barvin


Taxi

   J'étais heureux. Marianne allait arriver dans un peu plus d'une heure. Son avion se posait à Roissy et je téléphonais à un taxi pour me faire conduire à l'aéroport, ma voiture étant en rade. 

   Marianne... aussi belle qu'intelligente. Je ne la méritais pas, ainsi que je me le disais, mais bon... Elle revenait d'un Symposium au cours duquel elle avait évoqué "Le Destin et ses corollaires". Un esprit brillant, Marianne, qui enseignait à l'Université et à qui on proposait de donner des cours à New-York, dans un établissement prestigieux. Une brune aux yeux verts, très allurée. Et c'était avec moi qu'elle passait ses nuits, quand elle était à Paris. Moi qui "écrivait" sans pouvoir me faire éditer. Moi qui était un "auteur maudit", ainsi que l'avait dit un critique - un ami personnel -, auteur maudit qui prenait des antidépresseurs et se désolait de voir le temps filer, sans que mon art soit reconnu. Ces derniers temps, discrètement, je m'étais même remis à boire...

   Heureusement, tout cela allait disparaître. Marianne arrivait. J'allais la prendre dans mes bras, nous allions nous enlacer/embrasse/serrer l'un contre l'autre et... Une voix désagréable dans le combiné me répondit que le taxi arriverait dans un quart d'heure. Je remerciai, enfilai ma veste, jetai un bref coup d'oeil à l'appartement - le sien, dans lequel elle m'avait accueilli six mois plus tôt - et sortis.

   J'étais dehors, dans la rue. Il était six heures du matin. En Octobre. Il faisait frisquet, la nuit hésitait à s'en aller, les véhicules étaient encore peu nombreux, un malaise insidieux commença de m'envahir. Marianne... Il faisait décidément frais, ce matin. Je fermai avec humeur ma veste. La joie de la revoir ressemblait à celle que l'enfant ressent quand sa mère revient, après un bref séjour qui lui a semblé pourtant désespérément long. Pendant son absence, j'avais bu, j'avais erré dans les rues torves, j'avais même failli coucher avec une fille, rencontrée dans un bar. "Tu es désaccordé", m'avait susurré Marianne, un soir, alors qu'elle me caressait doucement. Elle n'avait pas tort...

   Le taxi surgit comme un fantôme et je sursautai. La porte arrière s'ouvrit. Je ne voyais pas le chauffeur. Je m'engouffrai dans le véhicule, de plus en plus mal, crus que la portière se refermait toute seule. Dans le rétroviseur intérieur, des yeux rougeâtres me fixaient. J'indiquai la direction. Le chauffeur ne dit rien, se contenta d'embrayer et nous voilà partis tous deux, engagés malgré nous dans une mutuelle étreinte... Qu'est-ce que je me racontais? Une petite musique/lessive, mise en sourdine, m'avait accueilli. Le malaise s'amplifiait, ça me faisait comme une boule à l'estomac, boule qui remontait lentement, obstruait ma tuyauterie interne... 

   Penser à Marianne, à sa voix tendre, fragile, qui se cassait par instant comme si sa propriétaire allait se briser, elle aussi, ou bien disparaître et me laisser seul... Pourquoi ce taxi n'ouvrait-il pas la bouche? D'habitude tous les taxis parisiens sont excessivement bavards et cela me gênait, mais en la circonstance, ce silence persistant pesait dans l'habitacle. "Comme du plomb", pensai-je en souriant.

   Marianne... Nous traversions les quais de la Seine. Le soleil hésitait. Tout était hésitation aujourd'hui. Dans son dernier coup de fil, la veille, la voix de Marianne m'avait semblé lasse. Elle avait prétexté que c'était en raison de l'intensité du symposium. "Tu n'imagines pas combien s'est stressant... et épuisant... mais enthousiasmant, ça oui", avait-elle lancé d'une voix bizarre. D'étranges images avaient éclaboussé le début de ma nuit. J'en avais honte mais, à présent, elles revenaient me hanter, alors que le taxi roulait lentement dans le trafic.

   Marianne était belle. On devait la draguer. Avait-elle cédé? Je l'imaginais, nue, offrant en pâture son corps plein à... Je dus pousser un cri - ou un gémissement. La voix du taxi me parvint, à travers une brume poisseuse. "Ça va, Monsieur?". Timbre impersonnel. Ou du moins qui se voulait tel. Mais il y avait de l'ironie, quelque part; saupoudrée de méchanceté. Je croisai de nouveau le regard effrayant, dans le rétroviseur intérieur. J'entendis une phrase, genre " nous serons en retard" ou "ne vous inquiétez pas, on va bientôt arriver", je ne sais plus. Phrase lancée par qui? Je me mis à frissonner, puis à trembler. J'avais froid, mon coeur se serrait. J'étais soudain certain de n'être pas dans un banal taxi. Que ce véhicule allait m'entraîner, le Diable sait où...

   "Monsieur? Monsieur!". Je perçus à peine les appels de l'homme. J'avais ouvert brusquement la portière, je sautai en marche, j'évitai par miracle les véhicules blafards qui se ruaient sur moi, je me retrouvai de l'autre côté de l'avenue, sauf. 

   Je ne revis jamais Marianne.

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"Balai?
Quel balai?"


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"Lunettes?
Qué lunettes?"


Gaultier fringe glasses, Dec ‘01

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(Photo volée de Mademoiselle D... 
et de sa natte diabolique,
un peu avant qu'elle ne violente
un innocent paparazzi)
Shot by Foto Ray-Gun Mambo in Hollywood, CA.
See more at www.ludellahahn.com

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(Écrivaine faisant semblant de jeter son manuscrit pour de vrai...)

Isabelle Furhman photographed by Sal Owen

(et étant bien embêtée, après, 
car elle avait oublié de numéroter son tapuscrit)

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Jacques Damboise

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