Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

mercredi 1 août 2012

"Sur cette terrible galère, les rames étaient en bronze". Jacques Damboise in "Pensées à contre-pet"

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Pensées pour nous-mêmes:


(LE MAITRE A UN VALET,
LUI-MEME)


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COURTS RÉCITS AU LONG COURS(36)
pcc Benoît Barvin



Anniversaire

   "Tu es sûre que c'est ce que tu veux?". Mynda me dit que oui, avec un gracieux mouvement de la tête. Je soupirai. Depuis que sa mère nous avait quittés, je ne pouvais rien lui refuser. N'était-ce pas son anniversaire, après tout? Cette journée était sacrée. Elle avait revêtu une kurta de couleur orange (1), sur un simple jean, comme je le lui avais conseillé, car là où nous allions il valait mieux ne pas trop attirer l'attention. Malgré ces "pauvres habits", Mynda ressemblait à sa mère,  avec sa petite bouche couleur framboise, ses yeux d'un vert d'opale, son nez légèrement busqué et son teint pâle, proche de celui d'une gori (2)

   J'avais rencontré Marie au Consulat de France et nous nous étions mariés pratiquement dans la foulée. Mon épouse avait voulu rester avec moi, à Pondichéry, là où j'avais créé une Ecole Internationale des Langues. Elle avait donné naissance à Mynda, nous étions fabuleusement heureux, mais la maladie, quatre ans plus tard, l'avait emportée. J'étais resté seul avec Mynda, me consacrant tout entier à mon travail et à ma petite fille, la moitié de ma vie. Les affaires marchaient bien, j'avais ouvert une succursale à Mundaï. Je ne vivais que pour cette fleur qui, chaque jour un peu plus, s'épanouissait. Ma peur de la voir abîmée par les envies masculines me tenait éveillé la nuit, souvent, le coeur serré d'angoisse, de sorte que j'avais loué les services d'un couple de gardes du corps, des Sikhs, que je savais être fidèles avec celles et ceux qui ne transgressaient pas leurs différentes croyances.

   J'aurais bien besoin de mes deux serviteurs, là où nous nous dirigions. J'avais demandé une limousine aux services du député du territoire, un ami fidèle. Nous étions donc quatre à l'intérieur, Moi, Mynda et les gardes du corps qui se tenaient face à nous, turban sur la tête, barbe noire et impeccablement taillée, leur regard évitant soigneusement le nôtre. Ma fille pouffait, heureuse que j'ai accepté de l'accompagner dans le bidonville. 


   "Pour mon anniversaire, avait-elle décrété, je veux distribuer des bonbons aux enfants nécessiteux". Mynda était nourrie de feuilletons étrangers, notamment américains, et elle pensait sincèrement que le bien pouvait se décréter. "Le sourire que tu envoies revient vers toi", ne cessait-elle me de répéter, citant ce proverbe hindou. Mélange curieux de tradition et de modernité, ma fille regardait autour d'elle avec curiosité, et un brin d'excitation, au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les faubourgs de la ville.

   A un moment, vu l’exiguïté des rues, leur vétusté, nous dûmes nous arrêter. Le chauffeur tourna vers nous une moustache peu conquérante. "Nous devrions rebrousser chemin", recommanda-t-il, d'une voix tremblante. Je sondai le regard des gardes du corps, mais n'y lus rien d'autre qu'une sorte de désintérêt poli. Autour du véhicule, la foule commençait à s’agglutiner. Des pauvres, des dizaines, des centaines de pauvres venaient se coller aux parois, dévoilant leurs faces hâves, décharnées, démusclées, squelettiques... Je vis également des chancres qui déformaient les faces, les bras, voire les corps entiers.

   "Je pense que tu en as assez vu et que nous devrions..." Mynda ne me laissa pas terminer. Déjà elle avait repoussé la porte avec une force peu commune et plongeait dans cette cohue de mendiants à demi nus, qui tendaient des mains déformées et réclamaient leur dû. Les Sikhs bondirent dehors, écartèrent sans ménagement cette étrange cour des miracles alors que je les suivais, inquiet pour ma fille dont la silhouette disparaissait presque, vue sa modeste taille d'adolescente, au milieu de la foule dont j'entendais le grondement sourd, semblable à celui d'une monstrueuse bête dévoreuse. 

   J'eus la sensation d'une catastrophe imminente, me demandai ce qui m'avait pris d'avoir cédé à cette lubie folle, absurde, excessivement dangereuse. J'allais donner l'ordre aux gardes du corps de s'emparer de Mynda, de la fourrer dans la limousine et nous filerions sans demander notre reste. 

   Mais où avaient-ils donc disparu nos anges gardiens? Je ne voyais plus que des faces édentées, des rictus de haine, des mains crochues qui se dressaient, ongles acérés, prêts à écharper la chair tendre, fragile, si fraîche de ma fille... lorsqu'un miracle - quel autre nom donner au phénomène? - eut lieu. J'entendis un rire cristallin. Ce rire, telle une caresse limpide éteignit d'un seul coup le rugissement de la foule des mendiants.

   Je sus qu'il s'agissait de Mynda. Je compris qu'elle appliquait les principes de la Sophrologie ludique, cet ensemble de techniques corporelles et psychologiques destinées à stimuler le rire et la joie de vivre. Elle m'en avait si souvent parlé, de cette pensée positive qui donnait de la confiance en soi, et particulièrement pour les personnes souffrantes, mais je l'avais si peu écoutée...

   La foule était maintenant amicale. Elle s'ouvrit devant moi et je débouchai dans l'arc de cercle chaleureux que formaient tous ces malheureux. Des malheureux dont les visages commençaient à s'orner de sourires esquissés. Les Sikhs, eux-mêmes, arboraient des expressions de réel plaisir. Au centre de la scène improvisée se trouvait Mynda, Mynda qui dansait, le visage illuminé d'un sourire enchanteur. C'était la grâce personnifiée, l'Espoir qui renaissait...

   Un sâdhu (3) se pencha vers moi et me dit: "Vishnu a mille visages, petit père... Celui-ci est tellement gracieux".
   Nous restâmes tous silencieux, en extase, à admirer Mynda/Vishnu qui insufflait ses forces à nos petites vies bien fatiguées. Je compris alors que Marie n'était pas morte en vain. 


(1) C'est une chemise ample descendant jusqu'aux genoux ou à mi-cuisse, portée aussi bien par les femmes que par les hommes. 
(2) Une gori est, par définition, une femme à la peau blanche.
(3) Sage indien qui vit dans le dénuement le plus total. Certains ne portent pas de vêtements.


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"T'art vos gueules!
Pas toucher!
Verbotten!"

mysteriousstranger_wyeth_theastrologer

(Les secrets du magicien étaient bien gardés)


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"La flûte, ça ne t'a jamais tenté?"


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"Mais? Mais c'est pas comme ça qu'y faut faire,
sauf vôt' respect, Magicien... 
C'est dans nôt' gosier qu'l'vin
y doit aller!
- Je fais ce que je veux!"


(Le Magicien était une sacrée tête de mule)


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"Alors, Chérie, on se balade toute seule?
- Voilà que j'entends des voix, maintenant...
Décidément, les cuites ça me réussit pas"



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N. C. Wyeth 
The Mysterious Stranger by Mark Twain 
Published by Harper & Brothers ~ 1916

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Blanche Baptiste

2 commentaires:

viggo34 a dit…

Une bien belle histoire, pleine de poésie et d'espoir !

Benoît Barvin, Blanche Baptiste, Luc Desle, Jacques Damboise, Nadine Estrella a dit…

Merci, Viggo34,nous reconnaissons bien là la finesse du héros dont vous avez pris le pseudonyme... Que Vive Tolkien!