Bon, regardons les choses en face.
Si l'on est en forme, joyeux parce que la petite amie, ou l'épouse, ou la maîtresse, est enfin prête à se laisser aller "Mais juste ce qu'il faut, hein? Et puis après, on va dîner", cette image de Philip Noto - artiste rencontré dans les comics -, nous attire.
La femme, sans être jolie, a quelque chose de joyeux dans l'attitude. Le ciel bleu, la mer outremer, un bout de soleil que l'on devine, sur la gauche, obligeant l'Inconnue à se protéger de ses rayons, son regard mutin, son sourire franc, tout indique un moment de félicité parfaite. Un bref moment, obligatoirement, celui pendant lequel le temps s'arrête. Plus de vagues venant lécher le rivage, plus d'effleurements d'un vent tiède sur la peau ambrée de l'Inconnue. Pas plus de cris de mouettes, ni d'enfants. De toute façon la plage semble déserte.
Du moins est-ce l'impression que donne cette portion d'aquarelle. Comme si l'illustrateur avait voulu délibérément tricher. Donner un instantané fantasmé car tout le monde sait combien une plage vide de touristes appartient au domaine de l'incongru, du désir naïf des habitants de la ville. Perdu dans l'immensité des gratte-ciels, encagé dans des pavillons concentrationnaires, le citadin n'a d'autre choix que de rêver un monde idéal qui ressemblerait à ça:
Le visage d'une femme souriante, sur une plage vide, avec derrière l'Inconnue le ciel et la mer mêlés en une étreinte d'un bleu céruléen.
Mais peut-être que je me trompe. Peut-être cette photo résulte-t-elle d'un cliché rapide, pris par un mari - ou un amant - qui, avant de supprimer sa femme ou sa maîtresse infidèle - a pris d'elle cet instantané? Pour se souvenir. Se torturer. Ou pour garder l'image d'un pseudo bonheur dont il sait qu'il n'est que mensonge. Mais auquel il aimerait tellement croire...
Peut-être retrouvera-t-on, après une longue enquête, dans le portefeuille de l'assassin - qui se sera évidemment suicidé - la photographie. Et l'enquêteur jettera sur ce visage rieur un regard las, revenu de tout, en pensant: "Décidément l'amour et la haine sont aveugles", avant de dire, aux enfants et aux parents de la malheureuse:
"C'est une tragédie. On l'a retrouvée, tout à l'heure, découpée en morceaux. C'est le mari - ou l'amant - jaloux qui a perpétré ce crime horrible.Je suis désolé". Et l'inspecteur allumera une cigarette - ou mâchera du chewing-gum - pour se donner une contenance pendant que, en observant ce visage barbouillé d'une si terrible gaité, la famille éclatera en sanglots.
Peut-être, aussi, que je devrais cesser de lire de mauvais polars, moi. Ils me font écrire n'importe quoi...
Benoît Barvin
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